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LE MÉNESTREL

— Du journal l’Italie : « Quand les directeurs de théâtres populaires se mettent à se faire concurrence dans l’abaissement des prix,.. ils ne s’arrêtent plus. Nous avions déjà au Costanzi la comédie avec loges à 5 francs et au Manzoni le drame à 2 francs la loge. M. Destefani nous donne au Circo Reale l’opéra à 50 centimes ! C’est pour rien ! Et ce serait invraisemblable si ce n’était vrai. Dimanche, pour la reprise de la Lucia de Donizetti on payait 1 fr. 50 les fauteuils d’orchestre numérotés, 1 franc le parterre (entrée comprise), et 50 centimes l’amphithéâtre. Il est difficile de dire qu’un spectacle à si bas prix a grande valeur, mais Mlle Fornari a prouvé avec son filet de voix qu’elle sait chanter ; le ténor Prati a mis de l’expression dans les belles mélodies de Donizetti, et la basse Allegri a bien tenu son rôle. Quant à M. Molajoli, le chef d’orchestre, il a pu retenir son monde dans la mesure. C’est tout ce qu’on pouvait demander pour 50 centimes. Aussi le succès a-t-il été assez grand pour obliger, hier soir, la direction à donner une seconde représentation de la Lucia. Beaucoup de monde encore. Tant mieux. On ne saurait trop encourager l’opéra à bon marché. On est sûr, au moins, d’avance d’en avoir pour son argent. »

— Au cirque Colon, de Madrid, on vient de représenter une zarzuela nouvelle de MM. Jimenez Pietro et Valverde, intitulée los Coraceros. La pièce gracieuse et la musique aimable ont été, plusieurs fois, l’objet des applaudissements du public de la première représentation.

— Un petit orchestre composé d’instruments à cordes a été formé à New-York par seize dames sous le nom « Ladies String Orchestra Society. » Il sera dirigé par M. Charles de Lachmund et donnera des concerts avec le concours de virtuoses célèbres. Les frais de la première saison sont déjà couverts par des souscriptions.

— Les législateurs américains, dont l’originalité fait quelquefois rêver leurs confrères européens, viennent de s’occuper d’une grave question qui a été résolue à l’Opéra impérial de Vienne par un arrêté du surintendant général et dans plusieurs théâtres allemands par des décrets de police, mais qui se trouve ailleurs encore fort problématique. C’est la question irritante des chapeaux de dames au théâtre. À la Chambre de l’État de Louisiane, le gouvernement avait déposé un projet de loi, dit des hauts chapeaux de dames (high hat bill), qui devait interdiire aux dames le port de chapeaux au théâtre, pour permettre aux malheureux spectateurs de voir ce qui se passe sur la scène. Un sénateur galant, M. Fenner — nous sommes étonnés qu’il ne porte pas un de ces vieux noms français encore si fréquents en Louisiane — est intervenu en faveur des dames et a réussi, après un discours brillant fréquemment souligné aux tribunes par de petites mains finement gantées, à faire accepter un amendement autorisant le port d’aigrettes et de « chapeaux d’opéra féminins » dans les théâtres. Or, il y a aigrettes et aigrettes comme il y a fagots et fagots, et on verra sans doute, à l’Opéra de la Nouvelle-Orléans, mainte aigrette ressemblant au légendaire plumet des tambours-majors de la vieille garde impériale. Mais ce qui fait dès à présent la joie des hommes de loi à la Nouvelle-Orléans, c’est le texte qui admet « le chapeau d’opéra féminin », car ils prévoient une série interminable de procès à ce sujet. Un journal de la Louisiane n’a pas manqué de faire une enquête chez les grandes modistes de la Nouvelle Orléans et est arrivé à formuler la définition suivante : Un « chapeau d’opéra féminin » est un chapeau qui s’adapte strictement à la tête d’une femme et n’a pas de bord (brim), mais qui peut être décoré selon la fantaisie de la dame qui le porte, de sorte qu’il peut avoir l’élévation d’un chapeau du type dit Marie-Antoinette. Cette communis opinio des experts rends la nouvelle loi complètement illusoire ; on verra une vraie guerre des dames avec les commissaires de police chargés de constater les excès des « chapeaux féminins » dans les théâtres, et les procès les plus savoureux vont égayer les habitants de la Nouvelle-Orléans. En attendant, le galant auteur de l’amendement Fenner a reçu un bouquet énorme de fleurs artificielles offert par les modistes de la Nouvelle-Orléans.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

L’Opéra-Comique ne rouvrira ses portes que le 15 septembre au lieu du 1er. La cause de ce retard provient des travaux de réfection que l’on a été obligé de faire sur la scène et surtout dans la salle. On avait tout d’abord voulu réparer les deux escaliers du public, mais, au cours des réparations, on s’est aperçu qu’il fallait refaire en entier ces deux escaliers. Malgré toute la diligence de l’architecte de la Ville, M. Auburtin, il a été impossible de terminer plus tôt les travaux, mais on est certain d’être prêt pour le 15.

— Nos directeurs de théâtres subventionnés voyagent. M. Bertrand est rentré à Paris, vendredi dernier, revenant de Bayreuth où il avait été voir les Maîtres chanteurs, et M. Carvalho, après la saison qu’il fait en ce moment à Contrexéville, se rendra à Munix où il verra représenter Don Juan, représenté dans sa version originale.

— L’Opéra a joué 14 fois dans le courant de juillet 1896 et encaissé 230.355 francs, ce qui donne le chiffre de 16.453 francs par représentation.

Mlle Guiraudon, premier prix d’opéra et d’opéra-comique aux derniers concours du Conservatoire, est engagée à l’Opéra-Comique, ainsi que M. Gresse fils. À l’Opéra, on prendra, parmi les lauréats, MM. Sizes et Beyle.

— Le ministre des beaux-arts a demandé, selon l’usage, à l’administrateur de la Comédie-Française, s’il était dans l’intention d’engager un des lauréats du Conservatoire de cette année. On sait qu’en effet la Comédie-Française a le droit de préemption. M. Claretie a répondu qu’il n’engagerait personne cette année tout en réservant pour l’avenir le droit de la Comédie.

— D’autre part, MM. Ginisty et Antoine ont fait dire que eux aussi n’engageraient aucun lauréat, en dehors de ceux qui leur seraient imposés par la direction des Beaux-Arts.

— Enfin, on annonce les engagements de Mlle Maille, à la Porte-Saint-Martin, et de Mme Nady, à la Monnaie de Bruxelles.

— Mardi dernier a eu lieu à la direction des Beaux-Arts, ainsi que nous l’avions annoncé, la mise en adjudication des travaux de couverture du nouvel Opéra-Comique. Couverture ! Serait-ce donc déjà la fin des travaux ? Quoi qu’il en soit, les travaux semblent avancer pour le moment, et la grande bâtisse commence à prendre tournure, tout au moins dans les parties en bordure des rues Favart et Marivaux, où les murs ont atteint la hauteur du toit. La façade est beaucoup moins avancée. On dit que la toiture pourra être terminée à la fin de la présente année 1896 et qu’alors, on s’occuperait des travaux intérieurs.

M. Camille Saint-Saëns vient de terminer la partition de ballet qu’il a écrite sur un livret de M. J.-L. Croze. L’ouvrage, qui s’appellera définitivement Javotte, comporte trois tableaux, et la représentation, entr’actes compris, ne durera pas plus d’une heure. Javotte passera, comme nous l’avons dit déjà, à Bruxelles, à la Monnaie, fin octobre ou commencement de novembre.

— Tout Paris s’agite depuis que l’arrivée en France du tsar Nicolas ii est officielle et, bien entendu, le monde musical est loin de rester indifférent au mouvement général. M. Joncières, interviewé par un de nos confrères de la Patrie qui nous en donne la nouvelle, va proposer au comité de la Société des compositeurs de mettre au concours un morceau destiné à fêter la présence du souverain russe. Il est aussi fort probable que le gouvernement offrira à Sa Majesté une soirée de gala à l’Opéra et, dans ce cas, nous ne pouvons que nous ranger à l’opinion du Figaro qui trouve qu’il serait désirable qu’on fit exclusivement choix, pour cette solennité des ouvrages français. Ambroise Thomas, Gounod, Massenet, Reyer, Saint-Saëns, Delibes, Widor et Vidal sont au répertoire, avec Hamlet, Faust, Roméo et Juliette, Thaïs, Sigurd, Salammbô, Samson et Dalila, Coppélia, la Korrigane et la Maladetta. Avec de tes éléments, il semble absolument possible de composer un spectacle qui ne doive rien à l’art étranger.

Mlle Marie Van Zandt donnera, dans le courant du mois de février prochain, une série de représentations au théâtre de Monte-Carlo.

M. Grisier vient d’engager M. Nerval comme régisseur général des Bouffes-Parisiens et des Menus-Plaisirs. C’est là un très excellent choix, M. Nerval ayant fait amplement ses preuves sur les scènes les plus importantes de la province.

— Le Jacques Callot que MM. Henri Cain et Adenis frères feront représenter dès la rentrée, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, contient une partie musicale confiée à M. Le Rey. M. Le Rey a déjà fait représenter, au théâtre des Arts de Rouen, à plusieurs ouvrages dont le dernier en date est la Mégère apprivoisée.

— Le successeur du regretté Salomé, à l’orgue du chœur de la Trinité, est M. Claude Terrasse, maître de chapelle et organiste de RR. PP. Dominicains d’Arcachon. Comme M. Lacroix, récemment appelé au grand orgue de Saint-Merry, M. Terrasse, qui est un parfait musicien, s’est souvent fait remarquer aux auditions d’élèves de M. Gigout. Une autre très intéressante élève de l’école d’orgue de M. Gigout, Mlle Germaine Moutier, vient de se faire entendre avec un vif succès dans une séance à la cathédrale de Bayeux, sur un des beaux instruments de Cavaillé-Coll.

— Dimanche 2 courant, a eu lieu au théâtre des Batignolles, sous la présidence de M. Beurdeley, maire du viiie arrondissement, la distribution des prix de l’École Classique de la rue de Berlin, M. Chavagnat, directeur de l’École, a fait ressortir, dans une allocution, l’utilité incontestable de cet établissement qui, en dehors de la modicité du prix de ses cours, instruit gratuitement et sans aucune subvention, plus de 60 boursiers, admis chaque année au concours. Après avoir cité les noms de quelques élèves de l’École, engagés à l’Opéra-Comique, à l’Ambigu, à la Porte-Saint-Martin, etc., M. Chavagnat a remercié en termes chaleureux toutes les personnes qui ont bien voulu jusqu’ici prêter leur précieux appui à cette œuvre à la fois artistique et philanthropique. M. Beurdeley a ensuite pris la parole et a félicité chaudement le directeur de l’École Classique et ses collaborateurs d’avoir pu, en si peu de temps (6 ans à peine), sans subvention, obtenir d’aussi importants résultats. Il a ajouté que le moment lui paraissait venu, pour l’État ou la Ville de Paris, de s’intéresser à une œuvre appelée à rendre les plus grands services. Après la proclamation des récompenses, qui ne comprenait pas moins de 75 lauréats, les principaux d’entre eux, tant pour la musique que pour la déclamation, se sont fait entendre avec un très vif succès dans un concert des plus intéressants.