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LE MÉNESTREL

L’entrée principale est toujours sur la place ; mais une seconde entrée a été réservée à l’angle du boulevard et de la rue Marivaux. Une vaste galerie, qui permettra au public d’attendre à couvert le moment de l’ouverture des portes, offre une communication commode du boulevard à la salle ; au milieu de cette galerie, un salon a été pratiqué ; c’est, à la sortie, le salon d’attente pour les personnes en voiture. Là se trouvent des sièges ; un tapis, un foyer pour l’hiver ; et aux deux extrémités sont placés les domestiques, séparés des maîtres par une barrière.

Le chauffage, la ventilation et la sonorité ont été l’objet d’un soin tout particulier. De nombreux calorifères, sur un modèle nouveau et perfectionné, distribuent en hiver une égale chaleur dans toutes les parties de la salle ; dans l’été, l’air froid y sera introduit en aussi grande quantité que l’exigera la température, au moyen d’un mécanisme ingénieux placé dans les caves et que font mouvoir plusieurs chevaux : invention toute récente dont l’application aux salles de spectacle est faite pour la première fois à la salle Favart. Une voûte a été pratiquée sous l’orchestre, et de nouvelles mesures propres à développer la sonorité ont été adoptées dans toutes les parties de la salle.

La coupe intérieure de la salle et sa disposition en amphithéâtre ont été si heureusement combinées, que de toutes les places on voit également bien la scène et le public, et l’espace réservé à chaque spectateur est notablement plus grand que dans aucun théâtre.

Le fond de la décoration est blanc et or ; tous les ornements sont en cuivre doré. Les peintures d’art ont été réservées au rideau, à la coupole et au grand foyer public.

Presque toutes les stalles de galerie et d’orchestre sont remplacées par des fauteuils. Quarante des meilleures loges ont chacune un salon ; ces salons, séparés des loges par des portières de velours, sont ornés de glaces, de tapis et de divans. Un cordon de sonnette placé dans chaque salon évitera aux personnes qui l’occuperont la peine de se déranger pour demander des rafraîchissements, qui leur seront fournis par un des meilleurs cafés de Paris.

La salle est éclairée au milieu par un lustre à bougies mêlées de globes en cristal, et dans le haut par des candélabres portés par des enfants ailés, qui soutiennent la coupole. Un lustre et des girandoles à bougies éclairent le foyer, qui réunit tout ce que l’art et le goût pouvaient rassembler d’élégance et de richesse. »


Voilà pour les détails de la construction, au sujet de laquelle un journal, le Courrier des Théâtres, croyait devoir faire ressortir cette particularité : « Toute la construction intérieure est en fer : planchers, cloisons, colonnes, fermes et supports quelconques ; il n’y a que le bois indispensable pour couvrir les parties en contact avec le public et celui que nécessite l’équipage de la scène. Un nouvel incendie aurait lieu que la salle entière resterait debout. La couverture de l’édifice est en fer galvanisé. » Hélas ! nous savons aujourd’hui de façon cruelle ce qu’on en devait penser, et l’incendie de 1887 nous l’a prouvé.

Revenons-en au « boniment » de Crosnier, avec lequel nous n’en avons pas fini. Après avoir dit ce qu’était l’édifice, il faisait savoir ce qu’il y comptait faire :

« Le public appréciera facilement tous les soins qui ont été pris pour lui plaire ; mais l’administration de l’Opéra-Comique a compris que là seulement ne se bornait pas la tâche qui lui était imposée ; elle a voulu que les pièces, les artistes, l’orchestre, les chœurs et la mise en scène fussent en harmonie avec l’éclat de sa nouvelle salle.

La composition de la troupe actuelle, à laquelle restent attachées pour plusieurs années Mme Damoreau et Mme Garcia, présente en artistes distingués une réunion plus brillante et plus complète qu’elle ne le fut à aucune époque ; l’orchestre et les chœurs ont été augmentés ; au nombre des artistes de l’orchestre, dirigé par M. Girard, on compte aujourd’hui les premiers exécutants de Paris.

Presque toutes les décorations seront neuves, et l’exécution en a été confiée à nos principaux peintres de décors.

Deux opéras nouveaux seront représentés dans les premiers jours de l’ouverture : l’un, intitulé Zanetta, sera joué par Mmes Damoreau et Rossi, MM. Couderc, Mocker et Grignon ; l’autre, l’Opéra à la Cour, sera joué par Mmes Garcia et Henri Potier et MM. Chollet, Masset, Roger, Botelli, Henri, Ricquier. Plusieurs reprises importantes se succéderont : le Pré aux Clercs, l’Éclair, la Reine d’un jour, Richard Cœur de Lion, Lestocq, La Neige, etc., etc. Ces reprises viendront enrichir et varier le répertoire, en attendant les opéras que préparent, pour l’hiver prochain, MM. Auber, Halévy, Adam, Donizetti, etc. etc.

Un dernier soin était imposé à l’administration : après avoir pourvu à ce que le public fût confortablement placé, elle a songé à la convenance de ne pas lui faire payer ce plaisir un prix trop élevé. Une réduction considérable a donc eu lieu sur les prix de presque toutes les places ; et l’augmentation du tiers en sus pour la location a été uniformément convertie en une simple augmentation de 1 franc pour les places importantes, et de 50 centimes pour les places secondaires. La même modération a été apportée dans la fixation des locations à l’année.

 »


(À suivre.)

Arthur Pougin.

SEMAINE THÉÂTRALE


LE MOIS D’AOÛT ET LA MUSIQUE

Le mois d’août n’a pas toujours été stérile pour la musique qu’il l’est depuis quelques années, surtout, en ce qui concerne la France, depuis l’extension des chemins de fer, qui dès cette époque emportent loin de Paris la plus grande parti de sa population artiste ou éclairée. Le mois d’août nous a légué, dans son passé, des souvenirs non seulement intéressants, mais parfois éclatants et glorieux, et ce serait peut-être une histoire assez curieuse que d’en dresser, si la chose était possible, une table complète d’éphémérides pour tous pays au seul point de vue musical. Sans avoir cette prétention, on peut cependant donner une idée de ce que pourrait être un travail de ce genre, en groupant jour par jour un certain nombre de faits dont quelques-uns au moins ont laissé dans l’histoire de l’art une trace lumineuse et qui n’est pas encore près de s’éteindre. La preuve s’en trouve dans le petit tableau qui va suivre et qui est à peine une ébauche de ce qu’on pourrait obtenir si les documents certains ne faisaient trop souvent défaut.

1er août. — 1752. La troupe de bouffons italiens, dirigée par Manelli et Tonelli, joue pour la première fois à l’Opéra la Serva padrona, de Pergolèse, dont l’apparition donne le signal de la fameuse « guerre des bouffons » qui occupa pendant deux années tout le Paris artiste et lettré. Deux ans après, le 14 août 1754, la Comédie-Italienne donne, sous le titre exact de la Servante maîtresse, une traduction de ce petit chef-d’œuvre, qui, joué à ravir par Rochard et Mme Favart, obtient un tel succès qu’on le joue plus de deux cents fois.

2 août. — 1774. Première représentation, à l’Opéra, de l’Orphée de Gluck, dont il est superflu de rappeler le succès. C’était le second chef-d’œuvre que le grand homme offrait au public parisien, auquel il s’était fait connaître quatre mois auparavant avec Iphigénie en Aulide. Les deux rôles d’Orphée et d’Eurydice étaient tenus par Legros et Sophie Arnould. Ce fut le signal, non plus de la guerre des bouffons, mais de la fameuse querelle dite des gluckistes et des piccinnistes.

3 août. — 1778. Inauguration du théâtre de la Scala, de Milan, par la première représentation d’Europa riconosciuta, de Salieri. — 1829. Première représentation, à l’Opéra, de Guillaume Tell, de Rossini, avec Nourrit, Dabadie, Levasseur Mme Damoreau dans le rôles d’Arnold, Guillaume, Walter et Mathilde. Guillaume Tell a dépassé aujourd’hui sa 800e représentation.

4 août. — 1785. Première représentation à la Comédie-Italienne de l’Amant statue, opéra comique de d’Alayrac.

5 août. — 1818. À la Scala, de Milan, première représentation d’il finto Stanislao, opéra bouffe de Gyrowetz. On sait que Verdi remit plus tard ce poème en musique, et l’on sait aussi quel fiasco accueillit sa partition à ce même théâtre de la Scala, lorsque l’ouvrage parut sous ce titre : Giorno di regno.

6 août. — 1835. Première représentation, à l’Opéra-Comique, des Deux Reines, d’Hippolyte Monpou. — 1838. À l’Opéra, 100e de Moïse, de Raimondi.

7 août. — 1852. Première représentation à Rome, sur le théâtre Argentina, de Putifar, Giuseppe e Giacobbe, « trois oratorio en un, » de Raimondi.

8 août. — 1810. Première représentation, à l’Opéra, des Bayadères, de Catel, avec un succès énorme. Les frais d’établissement de cet ouvrage s’élevèrent à 142, 579 francs, ce qui est excessif pour l’époque. Les Bayadères, qui obtinrent un chiffre total de 140 représentations, étaient jouées par Nourrit père, Laforêt, Derivis et Mme Branchu.

9 août. — 1862. Béatrice et Bénédict, opéra de Berlioz, fait sa première apparition sur le théâtre de Bade, où son succès est considérable.

10 août. — 1813. Première représentation, à l’Opéra, de Médée et Jason, de Fontenelle. L’auteur du poème de cet ouvrage s’appelait Milcent, et comme la partition ne brillait pas par la fraîcheur des