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LE MÉNESTREL

qui n’est certes pas au-dessous de ses compagnes et qui, comme elles, était digne de la première récompense.

Les seconds prix, au nombre de trois, ont été attribués à Mlles Decroix, élève de M. Delaborde, Fulcran, élève de M. Pugno, et Cahun, élève de M. Alphonse Duvernoy. Mlle Decroix est une gentille enfant de quinze ans, qui a de la grâce, du goût, des doigts obéissants, un mécanisme habile, avec un ensemble d’exécution fort aimable. — Les qualités de Mlle Fulcran ne sont pas de même nature. Le jeu de celle-ci est crâne, hardi, brillant, plein de chaleur ; elle joint la légèreté à la vigueur, ses doigts sont superbes, et chez elle le phrasé est à la fois ample, élégant et bien musical. Il y a là un vrai tempérament d’artiste. — J’en dirai autant de Mlle Cahun, dont l’exécution se fait remarquer par le feu, l’éclat et la solidité, par de jolies oppositions de nuances et par un excellent sentiment musical.

Trois premiers accessits, à Mlles Rennesson, élève de M. Pugno, Vergonnet et Percheron, élèves de M. Delaborde. Elle est fort gentille Mlle Rennesson, elle a d’excellentes qualités : un joli son, du goût, un heureux sentiment musical, un jeu bien d’aplomb où la grâce sans fadeur se mêle à la vigueur sans roideur. — Chez Mlle Vergonnet un bon ensemble très agréable, du moelleux, de bons doigts, une exécution intéressante et distinguée. — Du côté de {{Mlle|Percheron des qualités solides d’études et de mécanisme, mais un phrasé inégal, qui demande à être soigné.

Enfin, trois seconds accessits, dont les titulaires sont Mlles Epstein et Herth, élèves de M. Delaborde, et Forest, élève de M. Pugno. Toutes trois sont aimables, en bon chemin, et n’ont qu’à continuer de travailler.

Mais il y a eu, comme toujours, des déceptions dans ce concours. Trois seconds prix des années précédentes sont restés sur le carreau, Mlles Gresseler et Masson et Mme Meyer-Belville. Je ne m’explique pas, je l’avoue, l’échec des deux premières. Le jeu de Mlle Gresseler est à la fois hardi et solide, et l’ensemble de son exécution brillante et colorée est intéressant et vraiment musical. La couleur, la sûreté, la fermeté sont aussi les qualités qui distinguent Mlle Masson, une enfant dont le jeu est surtout bien équilibré, bien complet, et qui ne laisse rien dans l’ombre et au hasard. Pourquoi cette malchance ?

J’en signalerai quelques autres parmi celles qui n’ont point été récompensées. Mlle Allard, 1er accessit de 1895, qui avait débuté d’une façon solide et brillante, mais qui a faibli ensuite ; Mlle Roux, 2e accessit de 1894, dont l’exécution moelleuse et fine, dont le phrasé élégant et gracieux, dont les doigts habiles et par instant vigoureux me semblaient mériter mieux que l’oubli dont elle a été l’objet ; Mlle Jaulin, 2e accessit de 1895, dont le jeu bien fondu a le défaut de manquer de nuances et de couleur ; Mlle Alliès, qui a de la vigueur, de l’agilité, et dont l’exécution nette et correcte se distingue par un heureux phrasé ; Mlle Richez, une gentille enfant, fort intelligente, qui a de l’habileté dans le mécanisme, de la carrure dans la phrase, de jolis détails, mais qui devra s’attacher à acquérir la netteté qui lui manque ; Mlle Demarne, dont quelques faiblesses de détail ont fait fort à un jeu par lui-même solide et chaleureux ; enfin Mlle Oberlé, chez qui il faut louer une exécution bien étudiée, bien sage et qui n’est pas sans intérêt.

Par tout ceci, on peut voir que l’ensemble de ce concours offrait lui-même un vif intérêt. Mais, saperlotte ! quel diable de morceau ! et qui a pu avoir l’idée de ce ravaudage insensé ?

VIOLON

Encore une rude journée, qui, commencée comme la précédente à midi, s’est terminée comme elle à sept heures du soir. Morceau de concours : le superbe 29e concerto de Viotti, qui nous permet au moins de juger si les élèves ont du style et s’il savent chanter. Morceau à déchiffrer, écrit par M. Lenepveu. Sur la brèche : trente et un concurrents, dont huit femmes.

J’ai peine à m’expliquer l’ardeur que les femmes apportent aujourd’hui à l’étude du violon, et l’avantage qu’elles peuvent trouver dans la culture de cet instrument, qui, par sa nature semblerait pourtant devoir être réservé à la partie mâle du genre humain. Il faut bien supposer pourtant qu’elles y trouvent leur compte, car depuis une trentaine d’années déjà les classes de violon sont envahies par l’élément féminin. À ce point qu’au concours de 1888 elles obtenaient à elles seules huit nominations, dont un premier prix, trois seconds prix et quatre accessits, et que l’année suivante elles n’avaient pas moins de trois premiers prix, deux seconds prix et un accessit. D’ailleurs, la liste est longue des premiers prix remportés par les femmes en ces vingt dernières années : Mlle Pommereul (aujourd’hui Mme Rouvier, 1875 ; Mlle Teresina Tua (aujourd’hui comtesse Valetta), 1880 ; Mlle Harkness, 1881 ; Mlle Hillemacher, 1882 ; Mlle Carpentier, 1884 ; Mlle Vinay, 1885 ; Mlle Gauthier, 1887 ; Mlle Juliette Dantin, 1888 ; Mlles Langlois, Duport et Bourgaud, 1889 ; Mlle Schytte, 1890 ; Mlle Charlotte Vormèse, 1891 ; Mlle Jaffé, 1892 ; enfin Mlle Roussillon, 1894. Au reste, je remarque qu’au premier concours public du Conservatoire, qui eut lieu en l’an v, un second prix de violon fut décerné à « la citoyenne » Félicité Lebrun, et que ladite citoyenne obtint le premier en l’an vii. Mais depuis lors jusqu’aux environs de 1860, on n’a à signaler aucune récompense accordée à une femme violoniste. On voit qu’à partir de ce moment, ces dames ont pris leur revanche. — Passons enfin au compte rendu de ce concours de violon, qui est toujours l’un des plus intéressants et des plus brillants de l’année.

Nous avons à enregistrer quatre premiers prix, décernés à MM. Séchiari, élève de M. Berthelier, Soudant, élève de M. Lefort, Monteux, élève de M. Berthelier, et Thibaud, élève de M. Marsick. Pour moi, je ne cache pas mes préférences pour M. Séchiari, qui est un artiste déjà complet et formé et qui ne laisse rien à désirer. Il réunit en effet toutes les qualités : un bel archet bien indépendant, un beau son, la hardiesse du jeu, la grandeur du style, l’élégance du phrasé et le goût dans le chant. En somme, un ensemble superbe. M. Soudant n’est guère moins remarquable. Lu aussi a de la hardiesse, du feu, de l’éclat, une rare noblesse de style, avec un chant expressif et plein d’élégance. À ajouter à tout cela un staccato merveilleux. Les qualités de M. Thibaud, qui consistent dans un joli son, un style élégant et gracieux, un jeu chaleureux, sont malheureusement gâtées par un vibrato perpétuel et insupportable. Il ne peut pas tenir sa main gauche tranquille, ce jeune homme, et il a toujours l’air de faire des trilles, même quand il s’agit de filer un son. M. Monteux est un artiste habile, qui connaît son affaire, mais dont la personnalité a de la peine à s’accuser.

M. Forest et Mlle Linder (la sœur aînée de la jolie fillette qui a remporté le premier prix de harpe) ont obtenu le deuxième prix à l’unanimité. Pour M. Forest, qui est déjà presque un artiste et dont les qualités sont aussi solides que brillantes, je le comprends sans peine. Je me l’explique plus difficilement pour Mlle Linder, que je ne voudrais pas chagriner, mais dont le jeu est bien inégal et qui a vraiment un drôle de style, tantôt tout petit, tantôt s’élargissant, et sans aucune unité. Des qualités sans doute, mais aussi des défauts assez graves, surtout en ce qui concerne le goût. M. Forest est élève de M. Berthelier, Mlle Linder de M. Garcin.

Trois premiers accessits ont été attribués à MM. Phal, élève de M. Berthelier, Renaux et Candela, élèves de M. Lefort. M. Phal a des qualités de travail et d’acquis qui demandent à mûrir encore et qui sont à encourager. M. Renaux a un poignet excellent, un archet bien à la corde, un jeu très soigné, très élégant, avec de la grâce, du style et du goût. Ce n’est ni par la grâce ni par la distinction que brille M. Candela, dont le jeu trop impersonnel tombe parfois dans la banalité. Il a besoin de soigner surtout la qualité du son.

Les seconds accessits sont échus à Mlle Dellerba, élève de M. Garcin, à Mlle Cossarini et M. Heck, élèves de M. Berthelier, et à Mlle Laval, élève de M. Marsick. Mlle Dellerba a un jeu assez facile et assez aimable. — Mlle Cossarini méritait, à mon sens, beaucoup mieux que cette récompense très secondaire. Elle a de la grâce et un joli son, un jeu délicat et ferme à la fois, plein d’élégance dans l’archet comme dans le phrasé, un trille excellent et le sentiment du style. Je crois bien que si elle avait mieux lu elle eût été mieux partagée. Elle a de l’avenir. — M. Heck, lui, ne finit pas ses trilles, et son archet écrase la corde d’une façon abominable. Il a fort à faire pour prendre place dans le rang. — Mlle Laval a le jeu très correct et très sûr, mais elle a diantrement besoin de s’échauffer ; et puis, elle a l’archet tellement collé à la corde que son jeu ne respire pas et que ça fait étouffer l’auditeur. Avec cela on sent un excellent travail, qui méritait un encourage.

Le jury a-t-il tenu rigueur à M. Duttenhofer parce qu’il s’est bravement arrêté au milieu de son morceau pour remonter sa chanterelle, qui avait baissé d’une façon insolite ? Je le croirais, car du moment qu’on donnait un premier prix à M. Monteux et à M. Thibaud, on n’avait aucune raison de le lui refuser. Ce qui est certain, c’est que ce jeune homme a un jeu distingué et délicat, un joli son et un beau mécanisme, et que l’ensemble de son exécution est remarquable. S’il est inférieur à MM. Séchiari et Soudant, et je le crois, il me paraît supérieur à leurs deux camarades. Ce sont là les hasards des concours !

D’autres encore pourraient se plaindre d’avoir été oubliés. M. Boffy, premier accessit de 1894, qui a un bon archet, un joli son, du style et de la vigueur dans les traits ; M. Oliveira, dont la tenue est excellente, et qui joint à des doigts habiles une grande justesse et la fermeté dans les traits ; M. Cuelenaere, qui est presque remarquable,