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MANQUABLEMENT, adv. — Immanquablement, inévitablement. Cette aphérèse de in, quoique singulière, n’est pas sans exemple. En patois, différent veut dire indifférent. Dans une pièce patoise, un homme a trois filles « qui ne sont pas différentes », c’est-à-dire trois filles qui ne sont pas indifférentes ; mais il faut remarquer que trois filles qui ne sont pas indifférentes, c’est une métonymie pour « trois filles pour lesquelles l’on n’est pas indifférent ». — Cette série de mots pris les uns pour les autres est fort drôle.

MANQUE, s. f. — Depuis que vous êtes parti, vous m’êtes de manque. Cette locution est très expressive.

MANQUER, v. a. — 1. Manquer de respect, être impoli, grossier. Ne vous laissez pas manquer, Ne souffrez pas que l’on vous manque, sous-entendu « de respect ».

2. Faire faillite. M. X… vient de manquer, Il vient de faire faillite. Comp. l’anglais to fail. — On dirait plus élégamment : « M. X… vient de lever le c… »

MANTIL (manti), s. m. — Nappe. Un petit gone ramené de nourrice fut saisi, en voyant, à la table de son papa, une nappe blanche avec de l’argenterie dessus, qui brillait. Aussi passait-il doucement sa main sur la nappe, en répétant avec admiration : Ô lo biau manti ! lo biau manti ! Lo manti de mon pôre (nourricier) équiel tot salopo, tot mardu ! — De mantil, de mantum.

MARABOUT, s. m. — Coquemart à gros ventre, terminé par un couvercle à coqueluchon. Il est en cuivre, étamé par dedans. Nom donné du temps que les turqueries étaient en faveur. On a vu je ne sais quelle vague ressemblance avec la chapelle ou tombeau dénommé marabout.

MARCHAND, s. m. — C’est le nom que le canut donne au négociant qui fait fabriquer les étoffes de soie. « Mais un canut peut bien dire — Que son marchand est un chien, » dit une chanson canuse.

MARCHANDE. — Molard ne veut pas qu’on dise Marchande d’herbes, mais herbière. Enfantillage ! Il constate lui-même que l’Acad. dit vendeuse d’herbes. Qu’est-ce qu’une vendeuse, sinon une marchande ?

MARCHANDISE. — Il y a de la marchandise. Se dit en parlant d’une grosse femme, « aux puissantes mamelles » comme la célèbre République de Jules Barbier. As-tu entendu l’Alboni ? quelle voix — Oh oui ! et puis qu’y a de la marchandise !

MARCHÉ. — Faire son marché, Acheter les provisions de ménage pour la journée. On ne fait son marché que le matin, manquablement, quoique ce soit des fois sans aller au marché proprement dit.

MARCHES, s. f. pl. — Pédales du métier de canut. — Remettre en marches, Reprendre le travail. Enfin, le mardi, il a dessoûlé, et a remis en marches… Remettre sur les marches, Réconforter, ravigoter, guérir. J’ai fait une grande maladie, mais M. Chrétien m’a remis sur les marches.

MARCHEUR, s. m. — Encore une nouvelle invention ! C’est un appareil qui dispense le canut de pousser le battant, comme déjà on l’avait dispensé de pousser la navette. On s’en sert surtout pour le taffetas. Manquablement le marcheur est actionné par les marches. Si l’on avait raconté ça à mon bourgeois !… Il aurait répondu « Vous couyonnez ! »

MARCHON, s. m. — Chantier sur lequel on place les tonneaux. S’emploie surtout au pluriel, les marchons étant accouplés. -— De marche, au sens de marche d’escalier, degré.

MARCOURER (SE), SE MERCURER, v. r. — Se ronger de chagrin, se maucœurer. S’emploie quelquefois au sens actif. Allons, allons, faut pas te marcourer le menillon ! Il ne faut pas te faire mal à l’estomac à force de te désespérer. Lorsque ma bonne mère me voyait quelque petit ennui : Ne va pas te mercurer pour ça ! me disait-elle. — De male et cor, franc se maucœurer. Quant à se mercurer, quelque bizarre que cela paraisse, on a certainement fait une confusion avec mercure.

MARDOUS, MARDU (parlant par respect), -— Terme d’amitié que l’on donne à un pelit mami. Est-ce que c’est à vous, ce joli petit mardous ? Ou bien : Venez me coquer, petit mardu ! Le français merdeux serait impoli.