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lyonnais de grand talent avait été invité aux fêtes de Compiègne. Dans sa chambre, on avait oublié de garnir la toilette. Il sonne. Apparaît un grand laquais, doré comme un calice. — Que désire Monsieur ? — Un décrassoir. — Le laquais s’enfuit épouvanté. C’est singulier, me disait l’artiste en me narrant l’histoire, j’aurais cru que dans cette maison l’on était plus propre. — Ce mot est si usité et si naturel à la fois que ni Molard, ni Humbert, ni Grangier, ni aucun des puristes qui se sont donné mission de corriger le mauvais parler, ne l’a signalé ; ils l’ont cru français !!

Il n’y a pas de terme inutile : les décrassoirs sont pour le visage, les essuie-mains pour les mains. Comment font-ils donc à Paris leurs notes de blanchissage ? Je suppose qu’ils désignent tout sous le nom commun de torchons.

DÉCROCHETER. — Décrocheter un corset, une robe, « dites dégrafer » (Humbert.) — L’un vaut l’autre : l’agrafe n’est qu’une sorte de crochet.

DÉCUTIR, v. a. — 1. Démêler les cheveux cutis (voy. cuti).

2. Écorcher, enlever la peau. Je m’ai tout décuti le doigt d’un coup de râpe. — De cutem. On devrait avoir décoti, mais le mot a subi l’influence de décutir 1.

DEDANS. — Mettre quelqu’un dedans, Le tromper dans une affaire. Quand je me suis marié, je me suis mis dedans, disait le pauvre Patient, de la rue des Chevaucheurs. Tout le monde comprend ces phrases, et pourtant je ne puis saisir l’ellipse. Dedans quoi ?

DÈDELA, adv. — Au delà, par là, par delà. Ce thomas embarrasse au milieu de la chambre. Porte-le don dèdelà ! Ou bien : Je suis allé partout dèdelà pour chercher la grosse. Humbert remarque qu’à Lyon dèdelà l’eau veut dire de l’autre côté du fleuve. — C’est drôle, les doctissimi s’in- dignent de dédelà, et ils ne s’indignent pas de de deçà, qui est à l’Académie. Pourtant, si l’on peut rester de deçà, on peut bien rester de delà : cela tomberait sous le sens du plus bugne.

DÉDITE, s. f. — Congé d’un logement. Mon regrettier m’a donné ma dédite. Ou encore : Y a si tellement de sempillerie de monde dans c’te maison, que je n’ai été obligé de donner ma dédite. — Molard écrit : « Il faut faire usage du mot dédit. » Pas du tout, Molard ! On ne peut pas dire : « J’ai donné dédit de mon logement. » Si vous ne voulez pas employer le mot lyonnais, il faut dire : « J’ai donné congé. » De même nous ne dirions pas : « Ce comédien a été obligé de donner une dédite de trois mille francs à son directeur. » Ici il faut dédit. Chacun en sa place. — C’est du bon vieux français, dont nous avons particularisé le sens : « Le repentir n’est qu’une desdicte de notre volonté », dit Montaigne.

DÉFAIRE. — Dans un magasin de nouveautés : Le commis, aimable : Madame, j’ai là ce qu’il vous faut ; tout ce qu’il y a de plus nouveau (c’est un rossignol de quatre ans, sur lequel le patron lui a promis une forte guelte). — La dame : Ne défaites pas cette pièce, je veux quelque chose de moins nouveau. — Ça, nous le disons à chaque fois que nous achetons de l’étoffe.

DÉFARDE, s. f. — Désordre, trouble, panique tumultueuse. Nous sons été voir les courses au Grand-Camp. Il est venu une avale d’eau ! Si t’avais vu c’te défarde ! — Vieux franç. fardes, bagage, avec le préfixe de au sens de séparation, éloignement. La défarde est littéralement la mise sens dessus dessous des bagages.

DÉFENDRE. — Je m’en défends des pieds, des mains et je touche talon. Phrase magique que, lorsqu’un gone veut se retirer d’un jeu, il prononce rapidement en pliant la jambe droite et en se touchant vivement le talon, par exemple au moment où, à la tape, il va être atteint par un coureur plus agile. Ces mots le déclarent tabou, mais il ne peut plus prendre part au jeu.

DÉFICELER. — Dire qu’on peut ficeler un paquet en parlant bien, et que, pour le déficeler, il faut parler mal. Ô Seigneur !

DÉFINITION, s. f. — Fin, achèvement. Un soir, montant le Gourguillon, j’entendais un bon canut parler à son voisin : I m’ont dit comme ça : Je voulons la définition de cette affaire ; j’irons voir Cussonnet (un agent d’affaires). Et moi je leur z’y ai dit : Allez voir Cussonnet, allez voir Cussonnant, vous en serez toujours de vos argents. — Dérivé logique de finir. Finition, action de finir, plus le préfixe intensif de.