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LA VIE DE S. GUENNOLÉ,


Confesseur, Premier Abbé de Land-Tevenec ou Landevenec, le 3 Mars.


Le valeureux & magnanime Prince Conan Meriadec, qui, avec son Beau-Frere Derdon & son Neveu Fragan, jeune Seigneur de grande attente, & nombre de soldats, avoit favorisé Flave Maxime Clemens en son passage ès Gaules, s’estant fait Couronner Roy de la Bretagne Armorique, choisit pour son sejour ordinaire la Ville de Nantes, &, en recompense des services que luy avoit fait son Beau-frère Derdon (lors nagueres decedé), fit à son fils Fragan épouser une Noble & riche Dame, nommée Guen, c’est à dire Blanche, leur donnant le Gouvernement des Comtez de Leon & Cornouaille ; eux, ayant remercié le Roy, se retirerent en leur Gouvernement & bastirent en la Paroisse de Plou-Kin, Diocese de Leon, un beau Chasteau qui, du nom de la Dame, fut nommé Les-Guen, où ils firent leur ordinaire residence[1]. La seconde année de leur mariage, Dieu leur donna un beau fils que Guen mist au monde audit Chasteau de Les-Guen, & fur nommé sur les sacrez Fonds Guennolé, c’est dire, en langage Breton, il est tout Blanc ; Nom qui sembloit presager combien grande devoit estre la candeur, sincerité & innocence de sa vie, quelques uns le nomment Wennolé & Guingolué.

II. Il fut soigneusement instruit & élevé en la maison paternelle jusques à l’âge de douze à quinze ans. Son pere le voulut mener à la Cour du Roy & le faire dresser aux Armes, pretendant en faire un Capitaine ; mais le bien-heureux enfant avoit conteu un autre dessein bien contraire à celuy de son pere, sçavoir, de vivre en quelque austere Religion & s’y voüer entierement au service de Dieu ; pour à quoy plus aisement parvenir, il s’adonna à l’etude des saintes lettres ; mais son pere persistant en sa première resolution de le mener en Cour, le Saint eust recours à l’Oraison, suppliant Nostre Seigneur de le favoriser en son saint & loüable dessein ; sa priere fut exauce, car son pere, allant un jour par pays, bien accompagné, fut subitement accueilly en raze campagne, d’un Orage si violent, qu’en moins de rien, luy & sa compagnie, furent tous en eau ; mais ce qui plus étonna le Gouverneur Fragan, fut un horrible tonnerre qui effroyablement bruloit sur sa teste, avec des éclairs s’entre-suivans si fort, qu’il ne se pouvoit remuer de ce lieu. Se voyant en un peril si éminent, il se recommanda à Dieu, &, se sonvenant qu’il avoit dissuadé son fils de se faire Religieux, promist que, s’il eschappoit de ce danger, non seulement il n’empescheroit, mais mesme il induiroit son fils à la vie Monastique ; ce vœu fait, l’orage cessa & il poursuivit son chemin & se rendit au logis.

III. La bonne Dame Guen & son fils Guennolé estans venus au devant de Fragan, après les caresses accoutumées, entendirent de luy tout le succès du voyage & le vœu qu’il avoit fait, dont la bonne mere & son fils remercierent Dieu ; &, pen dejours aprfs, Fragan mena son ills/ un saint Hermite norare6 Corentin, qui vivoit en sainteté, sous une montagne nommée Menez-Cosm, en la Paroisse de Plou-Wodiern, Diocese de Cornouaille, près d’une grande forest dite de Nevet. En ce voyage, une violente tourmente les ayant surpris, le jeune homme la dissipa par le signe de la Croix. Arrivez en l’Hermitage, Guennolé se prosterna humblement aux pieds de saint Corentin, le priant, la larme à l’œil, de le vouloir recevoir en son Hermitage ; saint Corentin le releva &

  1. Encore à présent la chapelle dudit manoir est dediée à S. Guénolé. — A.