Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/581

Cette page n’a pas encore été corrigée

LA VIE DE S. GOEZNOU.

& dis la vérité sans y penser, car tu crois avoir le fromage dont tu m’as refusé, & tu n’en as aucun. » Quelque temps aprés, elle alla voir en son armoire & trouva tous ses fromages convertis en gros cailloux (1), tels qu’on en voit au rivage de la mer ; ce qu’ayant veu, elle les porta au Saint, se jetta à ses pieds, luy demanda pardon, &, ayant receu sa benediction, s’en retourna en sa maison. En mémoire de ce miracle, ces cailloux furent long-temps gardez en l’Église Parrochiale de Land-Goeznou. V. Tandis qu’il gouvernoit ses Religieux avec une grande édification de tout le monde, le bon Prélat S. Hoüardon tomba malade, &, se craignant de l’issuë de sa maladie, luy manda qu’il le vînt assister ; &, après avoir receu de ses mains le S. Viatique & l’Extrême-Onction, il enchargea ses Chanoines de l’élire leur Pasteur, à quoy ils ne manquèrent, & fut éleu Evesque de Léon, l’an de grâce 650, sous le Pontificat de S. Martin I. du nom, Martyr, l’Empire de Constantin III, fils d’Heracle, & le règne de Salomon II. Roy de la Bretagne Armorique, & saint Armahel, Archevesque de Dol. Il gouverna son Église vingt & quatre ans, avec une extrême vigilance. L’an six cens septante & cinq, estant allé, avec son Frere, saint Majan, visiter saint Corbasius, qui faisoit bastir un Monastere, au lieu où, à présent, est la ville de Kemperlé, Dieu le retira de ce monde par un étrange accident. Considevant la structure de l’édifice, en la compagnie de saint Corbasius, de propos en autre, on vint à parler du Monastère de saint Goeznou, lequel commença à en faire une ample description & loüer l’ouvrage, specialement du Chœur de l’Église, pour l’embellissement duquel S. Majan avoit employé toute son industrie, car il estoit excellent architecte. Ces discours déplaisoient extrêmément au maître architecte de S. Corbasius, lequel, pensant que, loüant autre de sa profession en sa présence, & préferant l’ouvrage d’autruy au sien, on luy faisoit tort, conceut une estrange haine contre saint Goeznou ; &, estant monté sur les échafïaux dressez pour lambrisser l’Église, se promenoit d’un bout à l’autre, & passant par dessus le Saint, il laissa (comme par mégarde) tomber son marteau, droit sur sa teste, qui luy brisa le Crane, offensa la dure mère & penetra jusques dans le cerveau.

VI. Le S. Prélat tomba à terre de la violence du coup, &, s’estant fait porter dans l’infirmerie, se disposa à la mort, ayant très-expressément deffendu qu’on ne s’enquist de l’autheur de sa mort. Il reccut ses Sacremens avec une extraordinaire devotion, & ayant recommandé son Église au Souverain Pasteur, rendit son Ame entre ses mains, le 25. octobre audit an 675. & fut solemnellement enterré par saint Corbasius & ses Religieux, crainte que les députez du Chapitre de Léon ne leur enlevassent son Corps. ïcy l’Autheur de sa vie s’extend par une ample & docte paraphrase, à prouver que sa mort peut estre nommée Martyre, & conclud, disant, que Dieu a voulu, par une speciale Providence, qu’il mourut à tel jour que Rictius Varus fit martyrizer à Soissons les saints Freres Crespin & Crespinian, Ut dies qui ob duorum Martyrum agonem celebris erat, <erfz’t veneratione ce-MoT- Aa-erefHr. Son Corps ne fut guère sous terre, que Dieu commença à manifester, par miracles, la gloire dont son Ame joüissoit dans le Ciel ce qui fit qu’on leva ses Ossemens de terre & les mit-on en la Sacristie parmy les autres Reliques. S. Majan se trouva à cette Translation, & demanda instamment quelques portions des Reliques de saint Goeznou, pour emporter en Léon, mais il en fut éconduit ; neanmoins, il fut si importun, que l’Abbé saint Corbasius luy promit, que, s’il les pouvoit reconnoistre parmy les autres Reliques qui estoient dans le Thresor dudit Monastere, on les luy donneroit. Il accepta la condition, & passa la nuit suivante en Oraison, &, environ la my-nuit, S. Goueznou luy apparut, environné d’une admirable clarté, ayant la Mitre en teste & la Crosse en main, le remerciant du soin qu’il avoit de transporter ses Reliques en son Diocese, l’asseura que tout réussiroit à son contentement. (t) Voyez presque pareille chose en la vie de St. Ténénan, le 16 juillet, art. 12, p. 311. A.