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lierre et de chèvrefeuille entrelacés et, si l’on ne vous avertissait de leur présence, vous ne remarqueriez probablement pas le pan de mur à hauteur d’appui et le rentrant de maçonnerie enclavés dans le talutage. Ce pan de mur, ce rentrant et le bouquet d’ormes qui l’abrite, c’est tout ce qui reste de l’ossuaire désaffecté où l’on « vouait », jusqu’en 1879, au terrible, saint Yves-de-Vérité, les débiteurs de mauvaise foi et les personnes qui s’étaient rendues coupables d’un faux serment : le saint les faisait mourir dans l’année[1].

Il avait là son tribunal. Il y siégeait à droite, dans le coin le plus sombre, sous la forme d’une vieille statue en bois grossièrement équarrie, dont les couleurs s’étaient effacées à la longue, ne laissant subsister qu’un plâtras blanchâtre qui lui donnait un air fantomal. Il tenait ses audiences le lundi, au crépuscule. Aucun témoin n’était appelé. L’édifice, de style Louis XIII, ne possédait qu’une petite fenêtre d’aération ; la porte en était fermée à clef et la clef déposée chez le locataire du champ, qui la remettait au pèlerin contre une modique redevance. Celui-ci, après avoir lancé une poignée de clous par la lucarne, pénétrait à rebours dans l’ossuaire, refermait la porte, se signait, puis allumait une chandelle devant l’image du saint et jetait une pièce de monnaie à ses pieds. L’audience commençait. Et c’était, dans toute sa rigueur, une

  1. Le président au témoin Catherine Le Corre : « Quel est le sens de l’adjuration à saint Yves-de-Vérité ? » Le témoin : « Vouer quelqu’un à saint Yves-de-Vérité, quand il a fait un faux serment, c’est le vouer à la mort. »