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n’habite pas en vain, depuis deux mille ans, au bord d’une mer blanchissante dont elle tire sa chétive subsistance et qui semble rouler un Dies iræ perpétuel : sur son bout de roc battu des vents, elle est comme une antenne vivante qui capte au vol les moindres frémissements et jusqu’au silence des étendues. Quand le tocsin se propagea de clocher en clocher, l’après-midi du 1er août, il y eut comme un arrêt de la respiration universelle. « Tout se tut, me disait une paysanne de Rospez, même les oiseaux. » L’été sombra brusquement ; une Toussaint anticipée descendit sur le monde, et des vieilles demandèrent si c’étaient les vêpres des Morts qui tintaient pour le dernier jour de la chrétienté.

Le lendemain, par longues files qui encombraient les chemins creux de la Cornouaille et du Trégor, les premiers mobilisés gagnaient les stations voisines et s’y embarquaient vers leurs dépôts. Ni chants, ni vivats au démarrage du convoi. Plus tard, dans la griserie contagieuse des départs pour le front, j’ai vu passer des trains tumultueux, pavoisés comme pour une fête et bruyants comme des soirs de « pardon ». Les hommes, sur un rythme de plain-chant, martelaient le refrain d’une pauvre chanson gallote apprise le matin même à la cantine du dépôt :

Jamais les All’mands ne viendront
Manger la soupe des Bretons…

Ils appuyaient sur le mot jamais, comme pour lui conférer la valeur d’un serment. Et ce serment, en définitive, ils l’ont tenu.

 
Nep na ra mat, her dra guieli drezo !

« Quiconque ne fait pas bien, sus à lui tant que tu pourras ! »