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tres heureuses sur d’autres mers, sa marine n’est pas abattue et peut mettre en ligne à la veille de la Révolution 71 vaisseaux, 64 frégates, 45 corvettes, 32 flûtes ou gabares, « soit, dit Oscar Havard[1], un ensemble de 212 unités navales pourvues de tous les perfectionnements que comporte alors la science nautique » et montées par 80.000 officiers, matelots et soldats. Chiffres si impressionnants que Pitt, nouveau Jérémie, voit déjà la ruine de son pays consommée et se couvre la tête de cendre : « La gloire de l’Angleterre est passée, lamente-t-il. Hier elle faisait la loi aux autres ; aujourd’hui elle doit la subir ! »

Il ne fallut pas moins d’Aboukir et de Trafalgar pour calmer ces transes nullement injustifiées et qui faillirent renaître sous la Restauration, quand les Portai, les Hyde de Neuville et les d’Haussez eurent refait à la France une marine. Et c’était l’époque précisément où la mer rentrait dans notre littérature avec le romantisme. Car ce fut vraiment une « rentrée ». Au temps de Chrétien de Troyes et de Bérould, comme au temps de Chateaubriand, qui dira qu’elle fait le fond du tableau de presque toute son œuvre, la mer aussi faisait le fond du tableau de presque toute l’épopée arthurienne, quand elle n’en occupait pas le premier plan. Mais la Renaissance était venue, puis l’âge classique. L’homme « en soi » avait seul préoccupé les écrivains. La nature s’était de plus en plus estompée, la mer particulièrement. Comme en ces jours d’équinoxe où, sur nos grèves du Nord, elle semble reculer jusqu’aux confins du cercle visuel et s’enfoncer sous l’horizon, elle avait, depuis Maynard, à peu près disparu de l’horizon littéraire. Si le sentiment de l’infini continue de tra-

  1. La Révolution dans nos ports de guerre : Toulon.