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I

LE PASSAGE.


À moins d’emprunter la voie maritime et de gagner Plougastel par l’Auberlac’h ou l’anse du Teven, il n’est, du reste, qu’un moyen pratique de se rendre à Plougastel pour le voyageur qui arrive de Paris ou de Brest : c’est de s’arrêter à la station de Kerhuon et de descendre jusqu’à la cale du bac à vapeur qui fait communiquer la rive droite de l’Elorn avec le petit port du Passage.

L’Elorn, quoique resserré à cet endroit, y mesure encore près de 700 mètres. C’est un vrai fleuve ; mais comme tous les fleuves bretons, un fleuve très succinct : à deux lieues en amont, il n’était qu’un ruisseau ; la mer a brusquement élargi ses berges et le voilà qui prend des façons de Mississipi. Son flot d’un gris mauve, moiré par les courants, s’enveloppait d’une imperceptible buée le matin d’avril où nous le traversâmes. Le soleil riait à travers cette gaze qui ne cachait point l’horizon et en amortissait seulement les contours. Brest, au creux de sa rade, en paraissait tout argentée, comme une ville musulmane, une cité en burnous. Et, sur nos têtes, le vent balançait de minces et languissants stratus qui ressemblaient eux-mêmes à de grandes palmes d’argent. Fugitive impression d’exotisme, bien vite dissipée par la vue des blocs de roches accores qui bastionnent la rive gauche de l’Elorn, Roc’h-Nivelen, Coat-Pehen, Roc’h-Quilliou, et qui, dans cet épanouissement de la lumière, continuaient à se draper d’une ombre hargneuse. Des orfraies tournoyaient autour