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Quénécan, etc.), qui furent les bauges de la chouannerie après avoir été les sanctuaires du druidisme, ces longues files de peulvans et de menhirs processionnant jusqu’aux limites de l’horizon, ces étangs léthargiques, mirant dans la rouille de leurs eaux des fantômes de châteaux démantelés, tout ici, jusqu’à la grisaille de l’atmosphère, jusqu’au cri des échassiers, seuls hôtes de ces solitudes, semble appartenir au Passé et protester contre la violation de son dernier asile.

Quel sortilège pèse donc sur ce pays ? D’où vient cette immobilité des choses qui, à certaines heures, en certains lieux, donne presque l’impression d’une sourde hostilité ?

C’était, jusqu’au christianisme, une croyance répandue dans tout l’Occident que les âmes des morts s’en allaient outre-mer habiter d’autres rivages, désignés chez les Celtes sous le nom d’Annwyn, chez les Latins d’orbis alius et qu’avant d’appareiller pour la traversée suprême ces âmes faisaient escale dans les îles du littoral armoricain transformées en entrepôts de l’Au-Delà. Les noms de Tombelaine, du Mont Tombe (ancien nom du Mont Saint-Michel), du Grand-Bé, du Petit-Bé ( veut dire tombe en celtique), d’Enez-Sûn ou île des Sept-Sommeils (île de Sein), etc., rappellent encore cette affectation funéraire. Dans l’esprit des anciens, l’Armorique, en effet, passait pour la péninsule la plus rapprochée du sombre rivage. D’où l’usage qui aurait prévalu de bonne heure d’y conduire les dépouilles des morts, surtout des morts illustres, pour éviter à leurs mânes un trop long voyage par terre : parvenus à destination, on les inhumait au bord des flots, tantôt sous une pierre levée (menhir), tantôt dans une chambre sépulcrale, sous un mamelon artificiel {dolmen,