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mitif la chambre où, par une symbolique nuit d’orage, la mère de René lui « infligea » la vie. Des îles s’égrènent à l’horizon, cimetières marins préhistoriques, dont l’un, le Grand-Bé, a retrouvé sa destination avec l’incurable hypocondre qui, pareil au pharaon de la colline d’El-Kab, anonyme et solitaire comme lui, y a enfoui son dédain des hommes et sa nostalgie de l’absolu.

Saint-Malo aussi s’endort deux fois l’an. Une première fois après l’émigration de sa population masculine vers Terre-Neuve ; une seconde fois à la fin de la saison balnéaire. Et elle ressemble ainsi tour à tour à une ruche et à un tombeau. Le départ pour Terre-Neuve a lieu généralement en mars. C’est la veille de ce grand exode maritime qu’il faut voir Saint-Malo, avec ses auberges mugissantes comme des repaires de boucaniers. Derrière les remparts on entend la mer qui roule dans la nuit. Au petit jour, dans la brume, la caravane des Terreneuvas s’enfoncera vers l’inconnu. Et Saint-Malo, veuf de ses fils, retombera au silence jusqu’à l’août prochain, où la saison balnéaire emplira de nouveau ses rues d’une animation factice et substituera dans les bassins, aux lourdes coques des goëlettes moruyères, la clientèle élégante du yachting international.