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Est-ce l’âme qui diffère ? Les pays de « marche » participent toujours d’un double caractère et cette Haute-Bretagne, riveraine de la Normandie, de l’Anjou et du Maine, n’a pas été bien évidement sans se ressentir, d’un tel voisinage. Les traits sont moins accusés que ceux de la Bretagne bretonnante et il semble que l’air y soit plus léger, moins chargé de mystère et, pour dire le mot, sensiblement plus fade que l’air trégorrois ou vannetais. Autour de Saint-Malo cependant, les « intersignes » sont aussi fréquents qu’autour de Paimpol ; ils s’appellent seulement ici des « avènements ». Comme les femmes des Islandais, les femmes des Terreneuvas sont « averties » du décès de leurs hommes par des chandelles qui s’allument toutes seules, par des voix inconnues qui les hèlent au détour d’un chemin creux, par des larmes de sang qui s’égouttent sur leurs couettes, par un goéland obstiné qui frappe à leurs vitres, quelquefois par une apparition vaporeuse, le fantôme de la victime, encore vêtue de son « ciré » et coiffée de son suroit, qui les regarde de ses yeux troubles, pâlit et s’efface. Les marins eux-mêmes, si bronzés qu’ils soient contre les dangers physiques, n’échappent pas à la contagion et pour eux, dit M. Herpin, les processions de glaçons en dérive sur le Banc sont les transparents cercueils des « péris en mer », les cercueils de leurs âmes qui, encloses dans ces étranges et miroitantes prisons, rôdent autour des navires pour demander une prière. Les cloches d’Is, en Basse-Bretagne, ont pour pendant exact dans la Haute la cloche du Murain que des pirates Scandinaves dérobèrent à l’église Saint-Melaine et qu’une tempête engloutit : l’ouïe des pâtres, certains soirs, perçoit encore sous les eaux sa rumeur étouffée. Ces cloches submergées sont toutes un peu ma-