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monde extérieur existe, suivant l’expression de Gautier, qui voit et qui sait traduire sa vision en mots évocateurs, à la fois pittoresques et précis.

Écoutez ce joli couplet sur la pluie bretonne — la pluie au Village :

« Depuis ce matin, s’assombrissant par degrés, le temps est parvenu au noir d’encre. La clarté est morte dans le ciel funèbre, couleur d’ardoise tombale, si bas qu’il semble écraser la terre ; et sur toute la campagne évanouie s’étend un voile opaque, tissé des hachures de la pluie : une pluie obstinée, ruisselante, qui fouaille les ajoncs roux, ravine les talus et répand le trop plein des douves sur les chemins… De l’eau, de l’eau partout ; de l’eau torrentueuse — comme si les cataractes diluviennes voulaient renouveler la noyade des humains… De l’eau… de l’eau en folie… Les maisons du village, toutes portes closes, sont comme enveloppées d’une étoffe de fumée que découpe la rue luisante et vide. À côté de l’église — arche échouée au pied de l’if, surgi comme un récif sur une mer de brume — les croix du cimetière simulent de petits fantômes qui étendent les bras pour tordre des linceuls, sur une grève bosselée d’épaves humaines… C’est le règne de l’eau, avec ses évocations meurtrières. Elle engloutit jusqu’au vent : rien que le bruit obsédant de la pluie qui grignote les ardoises et glousse dans les gouttières »[1].

Il y a mainte page de cette saveur dans le Journal de Village. Et c’est bien en effet ici un journal. Parker l’a griffonné au jour le jour, sur quelque carnet,

  1. Comparez, dans le tome II de l’Âme bretonne, le passage de Gustave Geffroy : « Il ne faut pas aller en Bretagne si l’on n’aime pas la pluie, etc. »