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L’émouvante confidence que voilà et qu’on dirait écrite pour servir de contre-partie au « roseau pensant » de Pascal, s’affirmant supérieur à l’univers qui l’écrase ! Et que cette impression de détresse, ce sentiment de la vanité de l’effort, à l’heure même du triomphe, est bien d’un Breton, d’un homme de cette race étrange que le bonheur rend triste et qui n’est vraiment à l’aise que dans le remâchement du passé, dans le deuil et dans le regret !…

Mais quel autre aussi qu’un Breton eût pu pénétrer à cette profondeur dans l’âme de ses compatriotes et, comme le plongeur de la légende, y faire tinter l’anneau mystique, gage et symbole de l’infrangible alliance qu’elle a conclue avec la mer ? La Bretagne ne s’est pas toujours appelée la Bretagne. Certes ce nom de Bretagne qui vient du celtique breiz et qui veut dire « nuancé, bigarré », il n’en est pas de plus congruent, de mieux approprié au caractère du pays à qui il fut conféré dans un sentiment tout à fait étranger d’ailleurs à l’esthétique et à la géographie[1]. « Que le Dieu de la mélancolie te protège et que le tailleur te fasse un pourpoint de taffetas changeant, dit, dans la Nuit des Rois, un personnage de Shakespeare, car ton âme est une véritable opale. » Cela ne s’appliquerait-il pas merveilleusement à la Bretagne et, comme on a dit de l’Irlande qu’elle était l’émeraude des mers, ne pourrait-on pas dire de cette chatoyante contrée qu’elle est l’opale du couchant ? Mais la Bretagne porta jadis un autre nom que lui avaient donné les Celtes et qui était encore le sien au temps de César : l’Ar-

  1. On sait que ce sont les Bretons insulaires du Ve et du VIe siècles qui, en souvenir de la patrie perdue, donnèrent son nom à l’Armorique qui les avait recueillis.