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tango, dont elle n’attend pas toujours que l’orchestre des casinos voisins lui donne le signal ; elle a même, de temps à autre, ses vapeurs et ses nerfs, pour mieux ressembler à une petite maîtresse. C’est la « mer élégante », chantée par Rodenbach… Géniaux, lui, n’a voulu affaiblir d’aucune épithète l’énorme mot qu’il a donné pour titre à son livre et qui l’emplit tout entier : l’Océan. Mais, comme il fallait que cet écrivain se sentît les épaules solides pour porter le poids d’un pareil titre !

Il m’écrivait, quelques jours après la publication de son livre :

« Je serais maintenant le plus heureux des Bretons si, chaque jour, le courrier ne m’apportait soit une rose, soit un chardon, soit du bois sec. Je veux, par là, faire allusion aux articles de la presse sur l’Océan. Mais je reçois aussi des lettres qui me bouleversent, me remuent jusqu’au fond de l’âme. Des écrivains ou des lecteurs m’écrivent quelles émotions ils éprouvent à vivre parmi mes matelots. Et, dans mon grand orgueil, j’ai conscience de n’avoir pas été trop écrasé par mon titre… Oui, mon orgueil est aussi grand que la misère de mon esprit. Vis-à-vis de la foule, je maintiens mon attitude ; je sais ce que l’écrivain vaut en moi. Hélas ! vis-à-vis de moi-même, c’est un désolé qui se regarde et qui crie sans espérance. La lumière vacille. Où vais-je avec mon amour si réel pour les souffrants ? Je vais à la mort, à rien, ni plus ni moins que le dernier des niais. Ma femme et moi, si unis, nous sentons la détresse nous envahir à mesure que semble s’affermir ma situation littéraire. Ma situation ? Et pourquoi mon grand effort ? Qui me pousse ? Du vent. Ce n’est pas (ici le nom d’un philosophe rationaliste) qui me consolera… »