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mon temps. Cette certitude que j’ai tout de suite acquise, cette plénitude de sécurité, je les dois à la méthode. La méthode, tout est là. Trois hommes l’ont créée chez nous : Descartes, Lavoisier et Laplace. Ils ont fait la clarté dans le monde. La clarté, la qualité essentielle du génie celtique !

Et il répéta encore :

— J’ai été un homme heureux. La vie m’a gâté. C’est qu’il se satisfaisait de peu, comme la plupart des Bretons qui sont indifférents aux vanités de ce monde, comme ce La Tour d’Auvergne qui avait pris pour devise : Bara, lez ha librente, du pain, du lait et la liberté, ou comme ce Duclos à qui Mme de Rochefort disait un jour : « Oh ; vous, Duclos, on sait ce qu’il vous faut : du pain, du fromage et la première venue ». Son bonheur, il le mettait à faire celui des autres. Il était adoré là-bas des paysans. Trop faible pour s’engager, il avait pris du service, au début de la guerre, dans un hôpital de la région ; l’un de ses frères, René, commandait en second le front de mer de Dunkerque ; un autre, Jules, capitaine au 19e de ligne, avait été promu chef de bataillon et décoré pour sa magnifique défense de Tahure. Je vois encore Félix venant m’apporter la citation de ce brave.

— C’est un héros, tu sais, un vrai !

Il rayonnait de fierté fraternelle. Il y a deux mois, le 15 avril, sur l’Aisne, la veille de l’attaque de Craonne, le commandant Le Dantec partait en reconnaissance avec un de ses hommes : on vient de retrouver son corps criblé de mitraille. Le soldat et le philosophe s’en vont presque à la même heure. En des postes différents, tous deux ont fait leur devoir jusqu’au bout, Félix comme Jules. Et cependant une inquiétude travaillait cette conscience scru-