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pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu’au rire, le cœur le plus humain de tous les cœurs humains : il n’a pas changé. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n’avons compris clairement que ce devoir-là : persister… nous maintenir… et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise : « Ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir… » Nous sommes un témoignage.

Eutrope Gagnon s’étant présenté sur les entrefaites devant Maria et lui ayant demandé : « Calculez-vous toujours de vous en aller, Maria ? » elle fit non de la tête et, comme il insistait pour savoir s’il devait voir là un encouragement, une promesse, elle lui répondit : « Oui. Si vous voulez, je vous marierai, comme vous m’avez demandé, le printemps d’après ce printemps-ci, quand les hommes reviendront du bois pour les semailles ». Maria, aussi, comme tous les siens, maintiendra.

Je sens tout ce qu’une analyse comme celle que je viens de présenter a d’insuffisant. On l’a dit avec raison : il faudrait beaucoup de citations et beaucoup de place pour donner une idée à peu près exacte de la beauté d’un tel livre, où la personnalité des héros reste engagée dans la vie de la terre, du ciel, de l’eau, du vent, de la neige, où le pathétique de l’anecdote est tout lié à celui des saisons. Et la France, elle, tout d’abord, a pu s’y tromper ou n’y pas faire attention. Mais au Canada, quand parut, dans le Temps, Maria Chapdelaine, ce fut une émotion indescriptible : on ne voulait pas croire qu’un écrivain français eût pu pénétrer si à fond dans l’âme canadienne. Ce roman si simple, presque dépouillé, était une immense révélation. Non pas seulement la révélation d’un écrivain admirablement doué et d’une sensibilité supérieure : Maria Chapdelaine révélait à elle-même l’âme canadienne