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place Maub et le bock traditionnel chez Salis. D’une simple réunion de linguistes qu’était d’abord ce dîner, Quellien avait fait une manière de gigantesque Table-Ronde des Lettres contemporaines où ne dédaignèrent pas de s’asseoir, autour de Renan, président perpétuel, les convives les plus illustres et les plus inattendus, Paul Bourget et Jean Richepin, Maurice Barrès et François Coppée, André Theuriet et le prince Roland Bonaparte. On peut dire que le Tout-Paris de l’intelligence y reçut le baptême celtique. Et Quellien ne se montrait pas médiocrement fier d’avoir été le grand ouvrier de cette conversion. S’il se trouvait quelque ignorant pour lui dire : « Comment vous, Quellien, le Celte pur, la Bretagne faite homme, pouvez-vous habiter Paris ? » il protestait au nom de la géographie et affirmait que, depuis l’ouverture de la ligne de l’Ouest, le quartier Montparnasse tout au moins n’est qu’une rallonge de la Bretagne, une « marche » armoricaine. Le Dîner celtique avait sanctionné officiellement cette prise de possession : Paris, la France, la « terre d’exil » commençaient seulement de l’autre côté de la Seine. À l’abri de cette fiction, l’excellent barde se sentait la conscience en repos ; vivant au milieu des Parisiens, il pouvait se croire encore chez des Cimmériens un peu plus dégrossis. Et, pour connaître les amertumes du déracinement, il lui suffisait de descendre jusqu’au pont des Arts et de passer sur la rive droite.

C’était là le grand avantage de la combinaison. En vingt poèmes de la plus délicate beauté, Quellien a dit les tristesses de l’exil, du foyer quitté, de la lande sombrée sous l’horizon avec son clocher à jour, ses roches grises et son ciel en haillons. La nostalgie est un des thèmes préférés du romantisme, et les