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Quand il n’eût écrit que ces deux chansons, il faudrait encore se souvenir de leur auteur et, en un temps si prodigue de statues, ne pas trop marchander le petit morceau de bronze qu’on demande pour lui. M. Jaffrennou, dans sa thèse si renseignée et d’une langue si alerte, a tracé de Prosper Proux le plus amusant des portraits. L’élégiaque n’était qu’une des faces de l’auteur du Bombard Kerné : il y avait un autre Prosper Proux, rieur, bon vivant, ami des franches lippées et grand trousseur de cotillons. Peut-être la légende a-t-elle un peu exagéré ses prouesses de Don Juan de village. M. Jaffrennou a interrogé, au Guerlesquin, des nonagénaires de sa génération : ils ne lui ont pas connu plus de trois « bonnes amies » à la fois, outre sa femme légitime.

J’aurais souhaité que, pendant qu’il y était, M. Jaffrennou interrogeât aussi les Morlaisiens sur son auteur. Sans que mes souvenirs soient bien précis là-dessus (ils datent de trente ans), je crois bien avoir ouï conter au baron de Shonen, grand ami de Guillaume Le Jean et qui tenait peut-être l’anecdote de sa bouche, qu’à Morlaix, en 1870, Prosper Proux fut pris pour un espion et coffré comme tel dans le violon municipal. Le chagrin qu’il en ressentit avait même hâté sa fin.

Et j’aurais aimé encore que M. Jaffrennou, qui a recueilli et cité, au cours de sa thèse, les jugements, toujours si favorables, portés sur Prosper Proux par ses confrères, nous expliquât d’où venait cette unanimité de la critique à son égard et pourquoi tous les bardes de la Renaissance celtique, même les plus illustres, sentaient confusément sa supériorité. C’est qu’au fond cette Renaissance était bien artificielle ; c’est que la plupart des bardes du groupe villemarquéen n’étaient que des simili-bardes ou, si vous