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Il faut lire toute la pièce (la Rapsode foraine) ou plutôt il faut la laisser se déployer devant soi. C’est le chef-d’œuvre du réalisme lyrique. Dans cette grande fresque barbare, violemment coloriée et d’une fougue d’exécution prodigieuse, tient à l’aise toute la Bretagne des pardons et des calvaires, celle qui chante et celle qui mendie, celle qui titube et celle qui s’agenouille et qui est la même parfois, à des heures différentes de la journée. L’orgie sacrée se déroule pendant quatorze pages, sur cinquante-neuf strophes de quatre vers. Et le miracle est qu’au milieu de cette sauvagerie éclosent par instant les plus délicieuses effusions mystiques, des stances d’une douceur et d’une beauté incomparables, comme ce fragment du Cantique spirituel à sainte Anne :


Des croix profondes sont tes rides.
Tes cheveux sont blancs comme fils…
— Préserve des regards arides
Le berceau de nos petits-fils !

Fais venir et conserve en joie
Ceux à naître et ceux qui sont nés,
Et verse, sans que Dieu te voie,
L’eau de tes yeux sur les damnés !

Reprends dans leur chemise blanche
Les petits qui sont en langueur ;
Rappelle à l’éternel Dimanche
Les vieux qui traînent en longueur…

Prends pitié de la fille-mère,
Du petit au bord du chemin ;
Si quelqu’un leur jette la pierre.
Que la pierre se change en pain !…


Merveilleuses litanies ! Et que Verlaine avait raison d’évoquer le souvenir de Villon à propos de stan-