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de l’église italienne de Notre-Dame de Croaz-Batz, une vieille maison du seizième siècle qu’elle avait aménagée en villa pour ses résidences d’été ; son arrivée mettait régulièrement en fuite les deux fantoches qui, plutôt que de se plier à la régularité d’une existence bourgeoise, préféraient s’accommoder d’un simple hamac chez un pêcheur du voisinage. En automne seulement, au départ de ses hôtes, ils réintégraient la villa familiale. Tristan Corbière prenait possession du salon et y remisait son canot dont il faisait son lit ; Tristan, le chien, couchait à l’avant, dans une manne à poissons !

Ces excentricités — et d’autres moins innocentes — valurent rapidement à leur auteur une manière de célébrité locale, d’assez mauvais aloi d’ailleurs. Transportées à Paris, elles n’intéressèrent que quelques artistes, amis du pittoresque, et quand Tristan Corbière, dans les derniers mois de 1873, s’avisa de publier chez les frères Glady son premier et unique recueil de vers, les Amours jaunes, le livre, malgré le tire-l’œil du titre, passa totalement inaperçu. Corbière mourut peu après ; les Glady déposèrent leur bilan et tout parut consommé : le soleil des morts fut seul à se pencher, pendant huit longues années, sur cette ombre douloureuse et grimaçante comme les gargouilles de nos cathédrales. Il est fort possible en effet, et j’en croirais volontiers M. Luce, et M. Paterne Berrichon, qu’un exemplaire des Amours jaunes, découvert sur les quais par le dessinateur-poète Parisel, ait été communiqué d’assez bonne heure aux « Vivants », le cénacle poétique fondé en 1875 par Jean Richepin, Raoul Ponchon et Maurice Bouchor. Mais il faut donc que les membres du cénacle aient gardé jalousement pour eux cette révélation, car il n’en transpira rien dans le public