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core marquée sur la muraille. Si les balles de Bonaparte n’avaient pas laissé d’autres traces, on ne parlerait plus de lui ».

Au Val de l’Arguenon, tout nous parle encore d’Armand, sauf le manoir lui-même. La nature est plus constante que les hommes : voici la grève des Quatre-Vaux, où il s’embarqua pour sa dernière chevauchée marine ; les souterrains du Guildo, où il demeura caché trois semaines ; le vieux colombier des moines de Saint-Jacut, d’où il guetta pendant tant de nuits la goélette jersyaise qui ne vint jamais ; la Vallée-aux-Chênes où il pleura les seules larmes que le regret du sol natal plus que l’appréhension de la mort arracha à ce grand cœur… Et, par une rencontre étrange, ce sont les mêmes lieux, générateurs d’héroïsme, qui vont tout à l’heure éveiller à la conscience de l’obscure vie élémentaire l’âme assoupie d’un hôte de passage plus heureux qu’Armand et accueilli en frère au foyer du fils de l’acquéreur du Val.

Il n’est pas contestable, en effet, après les documents produits par M. Abel Lefranc dans son beau livre sur Guérin[1], que celui-ci ait dû à la mer bretonne la révélation de son génie et la conscience de cette vie universelle dont il n’avait jusqu’alors que le confus pressentiment. À plus juste titre peut-être que René, bercé sur le même rivage, nourri des mêmes spectacles, il aurait pu dire que la mer a formé le fond du tableau dans presque toutes les scènes essentielles de son œuvre. Mais, cette mer, comme il la voit et la sent et l’interprète d’une autre âme que

  1. Abel Lefranc : Maurice de Guérin, d’après des documents inédits (Champion, édit.). Voir aussi le Maurice de Guérin d’Ernest Zyromski qui, même après M. Abel Lefranc, a trouvé le moyen d’être original dans un sujet où tout semblait avoir été dit.