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C’était un proverbe en ce temps-là qu’il n’y avait point de bon pardon sans Yann-ar-Gwenn. La vénérable mère de Gustave Geffroy, qui était de Plougonven[1], me le confirmait peu de temps avant sa mort. Malgré son grand âge, elle se rappelait très bien l’aveugle, sa commère et son chien.

— L’arrivée de Yann dans une fête ou un pardon mettait toutes les têtes à l’envers, me disait-elle. On quittait tout pour l’entendre. Jamais barde populaire n’exerça un tel prestige sur les foules. Il y avait je sais quoi de religieux dans l’attitude de son auditoire. À certains passages de ses chansons, les paysans ôtaient gravement leur chapeau. Tous l’honoraient commue un homme marqué du signe divin…

Et Mme Geffroy me cita ces tierces-rimes d’une complainte de Yann qui, après soixante-dix ans, chantaient toujours dans sa mémoire :

Gwechall ar merc’het yaouank
Na evet kel ar gwiii-ardent
Hag ha chomet pel fur ha koant…

« Jadis les jeunes filles ne buvaient pas d’eau-de-vie et demeuraient longtemps sages et belles… »

Si nous ne possédions de Yann que ce couplet, on pourrait en conclure qu’il fut un poète gnomique, une manière de Solon ou de Phocylide armoricain. Et l’on se tromperait beaucoup. Sans doute, il ne dédaignait pas, à l’occasion, de faire un petit bout

  1. Elle s’appelait de son nom de jeune fille Delphine Périer de la Peltry et, m’a-t-elle dit, était née le 27 avril 1883 au château de Mézédern, qui appartenait à un comte de Los, marié lui-même à une demoiselle de Montfort. Mme Geffroy est morte le 7 octobre 1913, à Paris.