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Vous ai-je dit que Yann, de son mariage avec la Petibon, avait eu deux filles : Jeanne, qui épousa un tailleur nommé Jacot Raison, et Annan, qui épousa un journalier nommé Le Tallec ?

Je ne sais ce que sont devenus les Raison qui, d’assez bonne heure, émigrèrent à Trédarzec. Quant aux Tallec, ils eurent un fils, qui continue d’habiter Plouguiel et qui, demi-soldier, travaille la terre chez M. Tallibart. Il est marié et père d’une assez nombreuse famille. La descendance de Yann-ar-Gwenn n’est donc pas près de s’éteindre. Louis Le Tallec est très fier de son aïeul :

— Il ne m’a rien laissé, pourtant, me dit-il, pas même son talent de rimeur. Mais il a donné à ma mère et à moi ce qu’il n’avait pas lui-même et qui vaut mieux que la fortune et l’esprit.

— Quoi donc ?

— Des yeux.

Nouvelle preuve de la fausseté de l’axiome : nemo dat quod non habet.

Le Tallec convient d’ailleurs que l’infirmité de son grand-père ne l’empêchait pas d’être le plus gai des hommes : privé de la vue dès l’âge de sept mois, Yann ne pouvait mesurer l’étendue de la perte qu’il avait faite. Ses autres sens, et notamment le sens de la direction, s’étaient prodigieusement affinés et lui permettaient de se débrouiller dans l’inextricable lacis des petits chemins trégorrois. C’est ce que m’avait déjà dit Yves Le Coz. Mais croirait-on que Yann, tout aveugle qu’il était, poussât la témérité jusqu’à grimper dans les arbres du Castellic pour y couper sa provision de bois mort ? Et lui-même, d’après M. Tallibart, faisait ses bourrées et les portait à Crec’h-Suliet sur son dos !