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peine à retrouver sur la copie de Le Ruzic ou sur l’imprimé le couplet qui manquait à la chanson.

— Et comment était-il, au physique, ce Yann-ar-Gwenn ?

— Petit et gros, monsieur, — à peu près comme vous, tenez ! Oui, oui, c’est tout à fait cela, sauf la figure qui ne ressemblait à aucune autre figure au monde et qu’on n’oubliait pas, une fois qu’on l’avait vue. Cette figure-là, monsieur, on aurait dit qu’elle riait par tous ses pores, par toutes ses rides. Les yeux eux-mêmes ne semblaient clos que pour mieux rire. Ah ! Yann-ar-Gwenn n’engendrait pas la mélancolie, je vous assure ! Quand il passait sur la route, filles et garçons accouraient sur les portes. Et l’aveugle jetait une facétie à l’un, décochait un quolibet à l’autre. Je le vois encore, montant la côte de Crec’h-Suliet et frappant le roc de son bâton ferré, un bâton de houx durci au feu. On n’aurait pas dit un aveugle, tant il filait droit et sans hésitation, au moins dans les chemins de par ici, qui lui étaient familiers. Il mettait son honneur à s’y diriger seul. Il ne voulait pas de convoyeur. Ce n’est que passé Plouguiel qu’il consentait à prendre le bras de Marc’harit. Encore se privait-il quelquefois de sa compagnie, comme il arriva certain jour que la commère ne voulait pas le suivre à Lannion, chez son imprimeur, et où il lui fit accomplir le double de la traite pour lui donner une leçon.

— Contez-moi cela, Yves Le Coz.

— Eh bien ! voilà, monsieur. Mais il faut vous dire d’abord que Yann-ar-Gwenn, comme tous les bardes nomades, était un peu sorcier. Il avait des secrets pour « faire marcher » les gens. Donc, un jour que Yann avait affaire à Lannion, il héla sa commère, qui était en train de laver au douet voisin. Pour être