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tée de fusil de Crec’h-Suliet. M. Adam me mène chez lui, par un sentier de traverse qui s’amorce à la grand’route. Nous le trouvons en corps de chemise et qui faisait la sieste dans sa grange. Il n’a pas l’air autrement flatté de notre visite. Il se dérange à peine pour nous accueillir et peste intérieurement sans doute contre les malappris qui viennent interrompre son somme. Mon guide est obligé de le secouer par la manche.

— Ewan, allons ! Réveillez-vous, que diable !… Vous savez bien, c’est le monsieur qui désire parler avec vous de Dall-ar-Gwenn.

Magie de ce nom de Le Gwenn qui, après tant d’années, a conservé toute sa vertu ! Mon guide ne l’a pas plus tôt prononcé que voilà notre dormeur sur pied, secouant les brins de paille qui se sont collés à ses cheveux et me tendant une paume calleuse, mais large ouverte.

La poignée de main bretonne — vous l’avez peut-être remarqué ? — se donne horizontalement. C’est tout le contraire du shake-hands, vertical et brusque. Quand deux mains bretonnes se sont saisies, elles se livrent à un mouvement de balancier, très lent, très doux, qui peut durer plusieurs secondes et même des minutes ou des quarts d’heure entiers, si leurs propriétaires viennent de fêter Bacchus, dieu propice aux longues effusions. Par bonheur, Yves Le Coz est un homme sobre, au moins sur la semaine. Notre poignée de mains n’excéda pas les habituelles dimensions chronologiques, et, à la septième ou huitième reprise au plus, je recouvrai l’usage de ma dextre. Le brave homme tâcha seulement de mettre à sa pression une énergie destinée à compenser la faible durée d’amplitude de ses oscillations.