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tré au Jaudy. La grève, à cet endroit, dessine une courbe légère, favorable à l’accostage des bateaux qui vont draguer le sable ou charger le goëmon d’épave au bas de la rivière. Ces maisons de Crec’h-Suliet ne manquent pas, d’ailleurs, d’une certaine élégance rustique. Toutes sont couvertes en ardoises et bordées au levant de minuscules jardinets en terrasses, avec des muretins à hauteur d’appui. Mais on chercherait vainement parmi elles la maison de Yann-ar-Gwenn, cette maison fameuse, aveugle comme son maître, et que Brizeux a décrite sans l’avoir vue, d’après un croquis publié par le Magasin Pittoresque de 1842. On aurait même quelque peine à repérer son emplacement, n’était un pan de mur qui s’en est conservé par miracle et un prunier appelé encore aujourd’hui le « prunier de Yann-ar-Gwenn » qui se trouvait « au bout » du clos. Grâce à ce pan de mur et à ce prunier et en s’aidant du croquis publié par le Magasin Pittoresque, on peut aisément reconstituer en esprit la demeure du barde, qui n’avait pas de fenêtre, en effet, dont l’unique ouverture, servant de porte, était tournée vers la grève et à deux ou trois mètres seulement d’une berge très déclive que le flot vient battre deux fois par jour. Elle était coiffée de chaume et on la flatte peut-être en l’appelant une maison.

— C’était plutôt une kraou, une crèche, ce qui explique tout, me dit mon guide, M. Adam.

— Sans doute, me confirmait plus tard le petit-fils de Yann-ar-Gwenn. Mais, ajoutait-il, avec une nuance d’orgueil, la kraou appartenait à mon grand’père, ainsi que le touzil (la motte de terre) sur laquelle il l’avait bâtie.

En réalité, je crois que ce « touzil » faisait partie d’une friche communale, d’une de ces terres vagues