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sais des beurrées infinies… Mais ce sont toutes mes lettres des Rochers qu’il faudrait que je vous recommençasse ! Et cependant, ma fille, puisqu’il n’est que trop constant que je me suis un peu égayée avec vous des recrues de M. le duc, voici un autre passage de ma correspondance qui devait effacer et, à tout le moins, corriger l’effet du premier : « Le régiment de Carman est fort beau : ce sont tous Bas-Bretons, grands et bien faits, au dessus des autres, qui n’entendent pas un mot de français, si ce n’est quand on leur fait faire l’exercice, qu’ils font d’aussi bonne grâce que s’ils dansaient des passe-pieds ; c’est un plaisir de les voir. Je crois que c’était de ceux de cette espèce que Bertrand du Guesclin disait qu’il était invincible à la tête de ses Bretons ». J’avoue que ce sont deux jugements qu’il est assez difficile de concilier : mais, comme le disait Corbinelli, il n’y a que Dieu qui doive être immuable et, ayant reconnu mon erreur au sujet des soldats bretons, je n’ai point cru qu’il y fallait persévérer. On a retenu l’épigramme : on ne souffle mot du compliment. En bonne équité, est-ce là comme on agit ?…

Adieu, très parfaitement aimée. Cette lettre devient infinie et c’est un torrent que je ne puis arrêter. Vous vous demanderez ce qui me prend de vous écrire, quand nous avons toute l’éternité pour converser à loisir ? Il faut croire que nous ne dépouillons point dans la mort le tout de nos natures mortelles ou que nous retrouvons ces natures à l’instant que nous descendons sur la terre et que nous nous mêlons aux vivants, car je n’ai pu voir sur ma table cette écritoire et cette plume à qui je mis si souvent la bride sur le cou, sans être saisie d’une furieuse démangeaison de faire trotter encore une fois mon esprit sur le papier. Enfin, ma fille, voilà qui est fait.