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ton court, piqué de poils roux, donnaient toute l’impression d’un dégénéré. « De corps comme d’esprit, disait Contarini, il vaut peu de chose ». Anne, au contraire, était bien la plus avisée petite Brette qu’on eût vue par le monde. Volontaire « jusqu’à en être têtue », elle savait le grec, le latin, protégeait les poètes et les artistes, donnait aux pauvres sans compter, s’exprimait avec une grande élégance, voyait clair et juste en toutes choses, remettait les galants au pas et n’avait qu’un défaut : son caractère vindicatif. Elle n’oubliait jamais une offense, encore moins une injustice. Certains historiens l’ont accusée de n’avoir pas dépouillé suffisamment la Bretonne en devenant reine de France. Accusation toute gratuite : la façon dont elle gouverna le royaume, pendant que ce pauvre fou de Charles VIII bataillait en Italie, suffirait à montrer quelle profonde sagesse, quelle entente des plus difficiles problèmes de la politique elle savait mettre au service des intérêts français.

Mais la vérité est qu’elle avait fait deux parts de sa vie et que, tout en donnant son cerveau et ses forces à son nouveau pays, elle gardait son cœur à la Bretagne. De là certaines contradictions d’attitude qui n’ont surpris que ceux qui ne connaissent point notre race et sa facilité de dédoublement. Tantôt on la voit en grand costume de drap d’or fourré d’hermine, la gorge, les bras, les mains ruisselants de bijoux, fastueuse dans ses goûts comme dans son habillement, mangeant dans la vaisselle de vermeil et d’argent ciselé, commandant à des artistes célèbres des tapisseries, des pièces d’orfèvrerie, des tableaux, des manuscrits à miniatures « qui sont les plus belles œuvres de ce genre que nous possédions » — mais Anne de Bretagne ne fut-elle pas,