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lettrée, si fine, elle est restée, dans son costume, une paysanne. Et, fidèle au vêtement de sa vie passée, elle n’a point voulu que les choses changeassent autour d’elle. L’anaon de Luzel, céans, ne risque point d’être désorientée. Voici l’étroit cabinet du maître, refuge de sa pensée. Et voici surtout la cuisine de Keramborgne, — la cuisine, cette pièce à toutes fins des métairies bretonnes, haute et large à souhait pour remplir ses quadruples attributions d’atelier, de salle de réception, de réfectoire et de dortoir : ici la cheminée monumentale, capable d’abriter une douzaine de valets de ferme sous son chambranle, et où Luzel avait son escabeau en face du conteur ou de la conteuse qui recevait l’hospitalité du manoir ; çà et là les armoires vernies, le vaisselier, la table, l’horloge, le lit-clos armorié, acheté jadis à une vente des Kergariou, avec ses fleurs de lys et ses couronnes comtales découpées en plein bois ; au plafond les côtes de lard, les vessies d’oing, le « listrier », chargé de cuillers de buis naïvement sculptées au couteau par les pâtres… Rappelez-vous les vers — pauvres de forme, riches de sens et d’émotion, — qui servent d’épigraphe à la quatrième des Veillées bretonnes :

Après le repas fait, on a dit les prières,
Sans oublier les morts couchés aux cimetières.
Allons ! qu’on jette encor quelques bûches au feu.
Que l’on forme le cercle. Enfants dont l’œil est bleu,
Grimpez sur les genoux complaisants de vos pères.
Femmes, à vos rouets ! Vos sônes amoureux,
Il faut les apprêter et vos gwerz belliqueux.