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dicter le gwerz, elle se déroba sous prétexte que c’étaient là des kojo (des « balivernes ») qui ne méritaient point l’honneur d’être imprimées. Prières, offre d’argent, rien n’y fit. « Vous vous moquez de moi », disait-elle. Je dus m’adresser ailleurs…

Voilà les surprises du métier. Ne s’improvise point collecteur de chansons qui veut. L’âme populaire a ses scrupules et ses pudeurs et elle ne s’ouvre qu’à bon escient : il faut en faire lentement le tour, s’insinuer peu à peu en elle. Toute pesée trop violente, tout crochetage indiscret risque de la fermer irrévocablement.

Perrine Luzel était devenue fort experte à ce manège. Fileuses, couturières, « pèlerines par procuration », les antiques dépositaires de la tradition locale ne lui résistaient plus. De Keramborgne, continuellement, elle adressait à son frère quelque nouveau gwerz pathétique, quelque fine et délicate sône d’amour cachés aux replis de leur mémoire d’où ses habiles sollicitations les avaient fait jaillir. Le nom de la fileuse, de la couturière ou de la pèlerine se retrouvait dans le livre, au bas de la sône ou du gwerz, jamais celui de Mlle Perrine[1]. Jusqu’au bout elle garda l’anonymat. Elle ne songe pas encore à tirer la moindre gloire de sa collaboration à l’œuvre de son frère. Si

  1. C’est seulement dans une lettre à Hippolyte du Cleuziou, reproduite dans le tome I des Chants populaires de la Basse-Bretagne, que Luzel fait une allusion discrète à sa collaboration : « Presque tout [dans ma collection], dit-il, a été recueilli ou par moi-même ou par ma sœur, qui m’a beaucoup aidé dans ce travail souvent ingrat. »