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citadelle du rationalisme, après avoir été le bastion suprême de la Foi. Ses réserves d’idéal commencent visiblement à s’épuiser. Quand elles seront complètement taries sur le continent, les îles bretonnes, longtemps encore, s’abreuveront aux sources du Passé. Langue, mœurs, croyances ne seront plus ailleurs que des objets de vitrine, de vaines curiosités archéologiques : les îles garderont fidèlement ces parures de la race.

Elles seront nos derniers sanctuaires. Elles continueront à remplir, dans l’ordre spirituel, le rôle de témoins que leur assigne la géologie. Épaves d’une terre morte, engloutie par quelque cataclysme ou lentement érodée, désagrégée par le sourd travail des eaux, elles survivent au continent dont elles faisaient anciennement partie ; les plus avancées au large, Ouessant, Sein, Cézembre, le Grand-Léjon, les Triagoz, etc., repèrent le tracé d’un rivage primitif. Sur cent-vingt lieues de côtes, du Couesnon aux sables de la Loire, elles s’égrènent autour de la Bretagne, perles et rubis, émeraudes et topazes, saphirs et améthystes mêlés. Quoi d’étonnant si elles séduisirent un Claude Monet, un Maxime Maufra, un Allan Osterlind, si Gauguin, génial intuitif, avant d’appareiller vers l’archipel polynésien, y posa son vol ivre de tonalités crues et d’oppositions brutales ? Mais, pour l’œil qui les contemple de la côte ou du large, l’impression est bien différente : jetée comme une gaze sur cette verroterie barbare, la brume occidentale en atténue les violences, alanguit les ors, les indigos, les grenats, les fond en une teinte unique, imperceptiblement jaspée, dont la caresse est délicieuse.