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Stupeur ! Un colosse, tout de noir vêtu, fait gémir le marche-pied, pénètre de biais dans le compartiment et s’effondre au beau milieu de la banquette, non sans refouler du même coup aux extrémités deux de nos compagnons de voyage, le marquis de l’Estourbeillon et Léon Durocher, pris au laminoir entre cette masse de chair et la cloison.

L’ahurissement passé, j’examine le nouvel arrivant : il n’est pas rouge ; il flamboie comme l’épée de l’archange. Des bajoues monstrueuses, une triple cascade de mentons, un torse, des mains, des cuisses, des pieds… Serait-ce, d’aventure, le cavalier du cheval historique ? Mais cette lévite noire, ce tapabor aux larges ailes ? Impossible de s’y méprendre. C’est quelque prédicant, frère ou fils de ce ministre Chennery, de Wilkie Collins, qui mesurait six pieds deux pouces, pesait deux quintaux et crossait la balle mieux qu’aucun des joueurs du Cricket Club de Long-Beckley. Il aspire profondément l’air, prend son sac de voyage, l’ouvre, en tire une courte pipe de bruyère, la bourre, l’allume, pose ses larges mains à plat sur ses cuisses, me regarde et, entre deux bouffées :

Frenchman ?

Yes, Frenchman.

Sa figure s’illumine encore, si possible. Un éclair polisson brille dans ses yeux.

Paris ? (Prononcez Péré).

Yes, Paris.

Nouvelle bouffée, suivie d’une petite tape familière sur mes genoux. J’attends. Le colosse détache un de ses doigts. Il bat la mesure, il va chanter, il chante :