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l’accompagnement naturel. Ceux qui n’ont pas entendu Yann Nibor interpréter ses chansons ne connaîtront que la partie inférieure du poète. Le meilleur de sa poésie, c’est lui-même et qui mourra malheureusement avec lui. À quelques pièces seulement, comme les Albatros, les Sabots de Noël, la Boîte de Chine et, dans la Chanson des Cols-Bleus, cette Magicienne, d’un sentiment si profond, d’un timbre si pénétrant, on soupçonnera quel merveilleux organisme il fut, riche, puissant, complet, par l’accord, la fusion intime en une seule personne de tous les éléments d’expression qui se sont dissociés à la longue chez les contemporains et qui coexistaient chez lui comme chez les rapsodes des temps primitifs. Ce poète n’est pas seulement son interprète et un interprète proprement unique et inimitable : il est encore son musicien. Ou plutôt poète, musicien, exécutant, tout cela se présente chez lui comme l’oxygène et l’azote dans l’air atmosphérique, à l’état de synthèse naturelle et préétablie : le chant naît en même temps que le vers, et le geste accompagne le chant, et toute la machine vibre à l’unisson. C’est la plus surprenante combinaison qui soit et qui ne pouvait se rencontrer que chez un être intellectuellement très jeune et sorti lui-même d’une race demeurée au premier stade de son développement. Mais l’on conçoit assez qu’un tel art, qui déroute toutes les classifications, qui nous prend par tous les sens à la fois, exerce une séduction extraordinaire sur les auditoires les plus divers et pour si simple et si enfantin même souvent que s’en révèle à l’analyse chacun des éléments d’expression.