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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

rés. Le grand pays posait de nouveau sur elle ses mains argentées. Il y avait autour d’elle des échevèlements, des fureurs, des cris barbares, mêlés tout à coup de plaintes d’une langueur sensuelle. Le vent se fatiguait de sa propre violence, se suspendait aux bran­ches qu’il liait autour de l’horizon d’une molle arabesque dans la forêt de mirage. C’était l’heure où des yeux de faon, doux, timides et attentifs, paraissaient entre les feuillages imaginaires. On allait vers eux dans un tâtonnement, avec un regard fixe d’halluciné, et on s’apercevait que les doux yeux s’étaient fondus. La tempête vous réveillait d’un coup de sa crinière froide à travers le visage. Une créature puissante au sang étranger s’avançait à pas pesants. La mémoire devenait son domaine conquis.

Ève demandait grâce. Il fallait cesser d’aller devant soi, briser une fois pour toutes l’envoûtement, s’accrocher aux aspérités de la terre natale, se replier pour offrir moins de prise. Il fallait chercher un refuge en soi. On s’habituait peu à peu aux ténèbres, et le sentiment d’une autre haleine oppressée, tenace et toute proche, traversait de temps en temps ce domaine d’ombres comme le bras lumineux d’un phare éclairait par in­tervalles la lande. Alors le chant immortel s’élevait qui partait de deux âmes diffé-