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HISTOIRE PASCALE

Debout, en bras de chemise, sur le seuil de la porte, il regardait onduler sur le coteau d’en face les verdures naissantes, saupoudrées de gouttes de pluie que le soleil couchant faisait étinceler comme des myriades de joyaux.

C’était un gaillard robuste que maître Jean Derrien, carré de la tête, carré des reins, carré de toute sa personne ; jovial, du reste, et gardant le goût du rire, même en ces temps troublés.

Derrière lui, dans la cuisine, allait et venait sa femme Mar’Yvonne, vaquant aux apprêts du souper.

Petite et menue, elle trottinait d’un pas léger de souris.

— Ne t’inquiète de rien, lui répondit-elle : Dom Karis trouvera flamme claire et soupe chaude… Pourvu, du moins, qu’il n’ait pas eu, en route, d’autre désagrément que l’ondée !

— Ta, ta, fit le meunier, le vieux recteur, avec sa douceur de mouton, sait au besoin se faire renard pour dépister les loups…

Tout soudain, comme il venait de s’abriter les yeux avec la main pour voir au loin, dans la direction de l’occident, il s’écria :

— Eh ! pardieu, je veux être damné si ce n’est pas lui que j’aperçois, descendant la côte de Sainte-Thècle, déguisé en mendiant !…

— Ce n’est pas une raison pour blasphémer, Jean Derrien, observa Mar’Yvonne de son ton discret.

Elle se hâta vers l’âtre, jeta une brassée de copeaux dans le feu et se mit à écumer le bouillon qui trottait dans la grande marmite. Le meunier, lui, s’en alla en sifflotant à la rencontre du vénérable messire Dom Karis.