Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

HISTOIRE PASCALE




I

À trois quarts de lieue environ, en aval de Lannion, sur le Léguer, jolie rivière chantante qui réfléchit dans son courant quelques-uns des plus beaux sites de là Bretagne, se voit le vieux moulin de Keryel, avec sa toiture moussue et gondolée, sa tourelle toute feuillue de lierre d’où s’envolent chaque matin des nuées de pigeons, et ses deux roues à aubes, taillées dans des chênes massifs, solides encore et abattant de belle besogne, sans trop geindre, malgré leurs cent vingt ans révolus.

Elles étaient toutes neuves, les braves roues, et d’une jaune couleur de bois fraîchement ouvré à l’époque où se passait cette histoire. C’était au printemps de 1793, un samedi d’avril ou, comme on disait alors, un sextidi de germinal, vers le soir. Il avait plu dans la journée, mais le vent qui s’était levé avait chassé les nuages, en sorte qu’il ne traînait plus maintenant, dans le ciel nettoyé, que quelques flocons épars.

— La lessive est finie, dit en son pittoresque langage, maître Jean Derrien, le meunier ; voilé les draps qui sèchent !… Tout de même, il se pourrait bien que Dom Karis nous arrive détrempé par l’averse… Fais bon feu, Mar’Yvonne.