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LA CHARLÉZENN

et elle reposa, tranquille, veillée par le grand Kaour, comme une de ces vierges de la légende dont un géant accroupi protège le sommeil.


V

La Charlézenn, à l’aube blanche, a regardé partir les Rannou. Elle les a vus s’enfoncer dans l’épaisseur de la forêt, du côté de la grève. Par trois fois elle leur a crié :

— Au revoir ! Au revoir ! Au revoir !

Elle ne les reverra plus, et elle prolonge l’adieu. Eux, qui ne savent rien, lui répondirent gaîment :

— À tantôt, petite sœur !

Entre leurs voix, elle distingue celle de Guennolé plus jeune et plus perçante. Ce Guennolé, elle s’avoue maintenant qu’elle l’aime. Qu’elle a donc bien fait de ne point le lui montrer ! Du moins, il n’aura pas à pâtir à cause d’elle… Elle ne se dit pas, l’ignorante, que l’amour est chose subtile, qu’on le devine en quelque sorte à son odeur, et que c’est pour cela que Kaour, la vielle, a tant pleuré.

Qu’importe du reste ! La Charlézenn va mourir.

L’exquise matinée ! C’est le jour de fête dans les bois du Roscat. Il semble que la douce lumière ait pris corps, quelle se promène, vêtue de brume bleue, entre les arbres extasiés ; et derrière elle sa chevelure s’épand en un fleuve d’or pur. Sur ses pas, une mystérieuse musique