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LES DEUX AMIS

« Pauvre Glauda ! C’était comme si elle se fut cogné la tête contre une tombe pour lui arracher le mystère de l’éternité.

« Son Noël lui répondit par des paroles douces et tristes, des mots vagues, insignifiants, et elle n’apprit rien de ce qu’elle eût donné son âme pour savoir.

« La journée s’écoula. Le soir vint. Dans le ciel, nettoyé par les vents, des étoiles vacillantes s’allumèrent. La vieille maison de Rozvélenn, si longtemps aimée de Dieu, paraissait plongée dans le repos. Mais, sur le banc-tossel, près de l’âtre, Glauda égrenait son chapelet de corne ; dans l’aire, Jean Bleiz se dissimulait, sous l’auvent de l’étable à bœufs, et Noël attendait, derrière la porte entre-baillée de l’écurie, le spectre d’Evenn Mordellès.

« Accroupie dans sa litière fraîche, la Blanchonne ruminait de lentes, d’obscures idées, parmi la respiration forte et chaude des chevaux de labour.

« — Allons, Noël ! dit une voix plus légère qu’une brise d’été.

« Le harnais fut bouclé en un clin d’œil, — et ils allèrent.

« Jean Bleiz s^élança derrière eux, dans la nuit.

« Jadis, il avait été le plus agile coureur de la montagne. On racontait de lui que dans sa jeunesse, il forçait les lièvres à la chasse. Il faut croire que si ses cheveux avaient grisonné, ses jambes n’avaient point trop vieilli, car il arriva sur la grève de l’étang funéraire comme Evenn disait à Noël, là-bas, dans le purgatoire des eaux profondes ;

« — Tu as été jusqu’à mi-corps, tu as été jusqu’aux aisselles ; je serai délivré, si, ce soir, tu te laisses submerger tout entier. Seulement, pour Dieu ! clos tes lèvres ! Que pzs une goutte du marais de la mort n’y puisse pénétrer ! Qui a bu de cette onde n’aspire désormais qu’au trépas.