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LES DEUX AMIS

lence, et les sabots ferrées de la Blanchonne n’éveillaient aucun écho dans la plaine sourde » la plaine noire.

« Soudain, quelque chose de brillant se mit à luire, comme une eau pâle effleurée d’un rayon de lune.

« — Nous approchons, dit Evenn.

« — N’est-ce pas la mer que nous voyons devant nous ? demanda Noël.

« — Non. C’est le marais des Trépassés.

« Ils arrivèrent sur le bord de l’étang mystérieux.

« — Noël, dit Evenn, est-tu toujours résolu ?

« — Toujours !

« — Alors, descendons.

« Ils mirent pied sur une plage de sable fin comme une cendre que hérissaient, par places, des joncs noirs, des roseaux funèbres.

« — Fais le signe de la croix sur ta bête, poursuivit Evenn ; ainsi elle paîtra, en t’attendant, l’herbe des morts, comme si c’était une herbe vivante, et les esprits de la nuit ne pourront rien contre elle… Toi, commence à te déshabiller.

« — Tout nu ? « Evenn fit oui de la tête et se dépouilla lui-même de ses vêtements. Puis, quand Noël eut retiré sa chemise :

« — Donne-moi la main, et marchons !

« Ils entrèrent dans l’eau jusqu’à mi-jambes, puis jusqu’à mi-corps. Autour d’eux des têtes éparses surgissaient, ridaient un instant la surface de l’onde et, de nouveau, sombraient. D’aucunes étaient des visages flétris de jeunes filles, traînant de longues chevelures déteintes ; d’autres montraient des crânes dénudés et des barbes couleur de soufre.

« — Tu trembles ? murmura Evenn à l’oreille de son comagnon. Tu as peur ?