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RÉCITS DE PASSANTS

« — Tu l’exiges ? Tu as tort.

« — J’ai tort, soit ! Je l’exige.

« — Attelle donc la Blanchonne au char à bancs, car nous aurons de la route à faire. Ce n’est plus à Landerneau que nous allons cette fois…

« … Dans le lit clos de la cuisine, Jean Bleiz, réveillé de son premier somme, poussa du coude la bonne Glauda.

« — Écoute donc, fit-il. Ne dirait-on pas, dans l’avenue le bruit de notre char à bancs et le trot saccadé de la Blanchonne ?…

« Assis côte à côte sur le siège de devant, l’ami vivant et l’ami mort franchirent des lieues et des lieues de pays. La vieille jument, d’allure d’abord hésitante, semblait avoir retrouvé son agilité d’autrefois, du temps où, jeune pouliche indomptée, elle faisait, de ses quatre sabots, jaillir du sol un quadruple éclair.

« Était-ce une route qu’ils suivaient maintenant, Noël n’aurait su le dire.

« De vastes horizons muets et tristes s’étendaient en des perspectives flottantes, indéterminées. Çà et là apparaissaient des formes inconsistantes, qui étaient peut-être des nuages et peut-être des arbres. Parfois des oiseaux s’envolaient, des oiseaux fantastiques, aux ailes brunes et ouatées, qui glissaient sans bruit, pareils à des chauves-souris d’une espèce inconnue.

« Nul vent ne soufflait dans ce désert. L’air dormait, épais et immobile.

« Une lumière vague éclairait les choses, une lumière qui n’était ni le jour ni la nuit, une lumière comme celle qui semble émaner des miroirs dans un appartement sombre.

« Mais le plus surprenant, c’était, dans la terre, l’absence de toute sonorité. La voiture roulait sans troubler le si-