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LES DEUX AMIS

Vivant ou mort ! Touche ces mains : elles sont glacées…

« — N’en dis pas plus, Evenn ! j’ai compris !

« Et, tombant à genoux devant le fantôme de son frère d’âme, Noël Bleiz fondit en sanglots.

« — Avais-je raison, poursuivit le mort, quand naguère je te suppliais de m’épargner un tel serment ?… Si tu n’avais pas eu cette idée funeste et si je n’avais eu la faiblesse d’y céder, je ferais à cette heure ma pénitence, là-bas, parmi mes camarades de la fosse commune, sous les étoiles du ciel d’Orient… Et tu ne serais point ici pleurant à mes pieds sur celui qui fut si content de partir à ta place, oui, de partir à ta place pour jamais !…

« Noël cependant s’était redressé, tout pâle.

« — Tu as dit que je pouvais quelque chose pour ton soulagement. Je suis prêt, prononça-t-il d’une voix ferme.

« — Si j’ai dit cela, n’en tiens aucun compte… Adieu, Noël ! Garde mon souvenir. Je t’ai aimé dans la vie, je t’aime dans la mort…

« Le spectre d’Evenn Mordellès se reculait déjà dans l’ombre, mais le fils de Rozvélenn, bondissant hors de l’écurie, lui barra résolument le passage.

« — Tu ne t’en iras pas ainsi, cria-t-il. Je puis, de ton propre aveu, quelque chose pour la délivrance de ton âme. Eh bien ! cela, quoi qu’il doive m’en coûter, fût-ce ma damnation éternelle, je veux l’accomplir, entends-tu ? Je le veux !

« — De plus impérieux devoirs t’obligent envers ton père et ta mère. Pour l’amour d’eux, au nom du repos de leurs vieux jours, si durement gagné, Noël, n’insiste point !

« — Parle ! te dis-je, ou je me brise le crâne contre ces murailles.