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RÉCITS DE PASSANTS

porte, sur le fond orageux du ciel qu’une lune aux trois quarts noyée éclairait de teintes sinistres, il vil Evenn, mais combien différent de celui d’autrefois ! C’est à peine s’il put le reconnaître. Le malheureux était revêtu de son uniforme de soldat, mais des plaques de boue souillaient son pantalon, sa tunique, comme s’il avait dû se traîner longtemps à plat ventre par les routes détrempées. Ses traits défaits trahissaient des fatigues surhumaines et, dans la profondeur sombre des orbites, ses yeux brillaient d’une fièvre étrange.

« — Tu vois, dit-il en esquissant un vague sourire, je tiens ce que je promets. Va mon doux Noël, ce n’a pas été aussi facile que tu pourrais le croire.

« — Ton accoutrement le montre assez ! fit Noël en l’attirant sur sa poitrine… Mais, s’exclama-t-il soudain, qu’est-ce là ?… Du sang ?… Evenn de mon cœur, serais-tu blessé ?

« Du flanc gauche du soldat, un peu au dessus du rein pendait un large caillot rouge.

« Noël reprit :

« — Tu dois souffrir horriblement… Il faut faire lever les gens de la maison… Nous allons te soigner ça.

« — Je ne souffre plus, dit Evenn, je ne me souviens même pas d’avoir souffert… ou, si je souffre, ajouta-t-il, c’est d’autre chose.

« — Eh ! parle donc, que je te soulage !

« — Me soulager, tu le peux… Mais le voudras-tu ?

« — Ah ! çà, tu es Evenn Mordellès, je suis Noël Bleiz, et tu me poses une pareille question !

« — Si tu voyais clair, tu t’étonnerais peut-être moins ?.

« — Explique-toi, je t’en conjure. Qu’as-tu ? Qu’y a-t-il ?

« — Je t’avais fait le serment de revenir, Noël, je suis revenu… Vivant ou mort ! avais-tu dit. Et j’avais juré :