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RÉCITS DE PASSANTS

« Et il s’approcha de la Blanchonne pour lui passer le licol, car c’était elle, la brave bête, qu’on avait coutume d’atteler au char à bancs, dans les grandes occasion, et qui devait mener le soldat neuf jusqu’à Landerneau. Un rayon de lumière grise commençait à filtrer par l’unique lucarne ; tandis qu’Evenn faisait un paquet de ses meilleures hardes et chaussait une paire de bas de laine inusable, tricotés & son intention par Glauda, Noël lissait le poil de la jument, débrouillait sa crinière chenue, teignait d’un peu de noir de fumée ses lourds sabots, inspectait ses fers.

« Moins d’une heure après, les deux amis roulaient à travers la montagne, vers Landerneau…

« Et au moment où l’angélus du bourg sonnait midi, Noël Bleiz rentra seul à la ferme.

« — Tout s’est bien passé ? lui demanda son père en lui donnant la main pour dételer la Blanchonne.

« — Très bien, répondit la jeune homme d’un air distrait, les yeux et la pensée ailleurs.

« Il suivait mentalement, à des lieues de là, le fuyant panache de fumée d’un train en marche, emportant l’autre moitié de son âme très loin, vers l’inconnu, vers le poignant mystère, et peut-être pour jamais. »

— Gaïd Dagorn, fit à cet endroit le taupier, le plus difficile me reste à dire.

La vieille Capenn remplit l’écuelle et, de nouveau, le conteur la vida sans désemparer, avec une majestueuse aisance. Puis il continua, les mains croisées, les coudes aux genoux :

« Vous pensez bien que le départ d’Evenn Mordellès,