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AUX VEILLÉES DE NOËL

nourrissait, en vérité, de sa chair même et de son noble sang. Oui, j’eus peur de ces grands arbres familiers : je leur trouvai un air menaçant que je ne leur connaissais point ; je crus les voir se pencher, abaisser lentement leurs branches, pour m’arrêter au passage ; ils m’apparurent comme un fourmillement muet de grands spectres, et je sentis peser sur moi la fixité effrayante de leurs yeux.

Oui, de leurs yeux. Car ils avaient des yeux, tous ces arbres. Dans chaque fût, à la hauteur de la maîtresse branche, deux prunelles luisaient, larges, rondes, affreusement immobiles, dardant un éclat pâle et comme décoloré.

Le cheval, non moins épouvanté que moi-même, suspendit net son élan, tes jambes raidies, le crin hérissé. J’entendis son cœur battre dans ses flancs, à grands coups ; et le mien aussi battait à se rompre.

Je tremblais si fort que j’avais laissé tomber les guides et l’idée ne me venait pas de mettre pied à terre pour les ramasser… Il y eut quelques minutes d’une attente indicible. Dieu m’épargne de revivre jamais ces minutes-là. L’angoisse me serrait à la gorge, m’étouffait presque ; une sueur glacée me ruisselait par tout le corps.

Qu’allait-il se passer ?

J’avais une hâte fébrile de le savoir, persuadé, d’ailleurs, que ce serait terrible et que j’en mourrais…

Or, voici que de l’un des arbres se détacha une grande forme sombre qui se balança, un instant, au dessus de la route, dans l’espace, puis vint se poser sur le rebord de charrette sans bruit. Un flocon de neige ne serait pas descendu plus doucement.

Je me retournerai sur mon siège et je vis près de moi les deux prunelles luisantes que j’avais prises pour les yeux de l’arbre.