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AUX VEILLÉES DE NOËL

comme à des lieues, on entrevoit de larges remuements d’ombres et de clartés. On dirait des pays, des mers, avec des nuages en marches et des processions d’êtres qui vont, viennent, passent et repassent, jamais les mêmes, ainsi que des personnages de rêves, de muets et mélancoliques fantômes…

Tandis que je regardais la chouette, elle me regardait elle aussi, tremblante, dominatrice néanmoins, d’un air à la fois impérieux et triste qui me troubla.

Je me mis à lisser ses plumes, pour la rassurer et peut-être pour me rassurer moi-même.

— Va, va, pauvre animal, lui disais-je, je ne suis pas un homme mauvais. Je ne veux point te faire de mal. Les sabotiers vivent dans les bois, dans les solitudes apaisantes, au milieu des silences sacrés de la nature. Ce sont des âmes sereines, pacifiques, quoiqu’ils soient des manieurs de hache et des abatteurs d’arbres. Ils aiment les oiseaux, qui leur tiennent compagnie, qui sont, comme eux, les hôtes de la forêt, et dont la chanson rythme allègrement leur tâche. Toi, tu ne chantes point et tu ne te montres guère. Je le connais néanmoins. Souvent, la nuit, ton « hou ! » lugubre m’a réveillé. Je te sentais perchée sur le haut de la hutte. Et tu inclinais mon esprit vers des pensers graves ; tu me faisais souvenir des ancêtres morts qui, parfois, dit-on, revêtent ta forme, pour rappeler les vivants au respect pieux de ceux qui vécurent. Tu passes pour en savoir très long sur des choses auxquelles les hommes craignent ou diffèrent de réfléchir. Moi, ces choses me sont constamment présentes. Le lendemain de ta vie me préoccupe plus que la vie même… Tes plumes rousses sont frangées de gris : tu es sans doute aussi vieille que les hêtres de cette avenue, tu as vu debout cette chapelle dont les pierres jonchent