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LA CHOUETTE

de la maîtresse fenêtre, destinée à éclairer le chœur, se dressait encore presque intacte, découpant, sur le fond libre d’une avenue, sa rosace de pierres veuve de ses anciens vitraux. J’aimais beaucoup, le soir, quand on ne voyait plus assez pour le travail, à venir m’installer là sur le rebord de granit sculpté, pour songer en paix et fumer silencieusement ma pipe, loin du bavardage des femmes et des cris des enfants.

Il ne manquait pas de nids de chouettes dans cette vieille bâtisse effondrée.

Un jour, je ne sais comment, en me hissant à ma place de prédilection, j’effarouchai une de ces bêtes qui s’envola de son trou, avec une plainte si étrange que vous eussiez dit un gémissement humain. Le soleil — un soleil d’hiver, à la lumière aiguë et pénétrante, — dardait, au moment de mourir, une flèche de feu rougeâtre parmi les décombres. Éblouie, aveuglée par cette lueur, la chouette vint se jeter dans mes genoux. Je n’en avais jamais vu aucune d’aussi près, si ce n’est sur les portes des granges où les paysans, par peur, ont la cruelle habitude de les crucifier. Celle-ci, étourdie du choc, allait tomber. J’étendis les mains et je la saisis par les ailes.

Je ne crois pas avoir tenu entre mes doigts rien d’aussi doux que ces ailes soyeuses, ouatées, frémissantes et chaudes.

Je tournai la bête à contre-jour, pour lui épargner l’éclat trop vif de l’astre couchant.

Et, alors, je ne vis plus que ses yeux.

Vous est-il arrivé de contempler face à face les yeux d’une chouette ? C’est comme un miroir immense, mais terni ; on y devine, vaguement, une foule de choses mystérieuses ; cela ressemble à des trous ouverts sur d’insondables, d’effrayants abîmes. Tout au fond, tout au fond,