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À BORD DE LA « JEANNE-AUGUSTINE »

nèbres. Puis apparurent les colonnes blanches des cierges. Enfin les bras qui les tenaient se montrèrent à leur tour ; et, après les bras, des têtes et des épaules surgirent. À ces têtes de longues barbes mouillées pendaient, qu’on eût prises pour des goëmons-épaves. Oh ! les lamentables faces blêmes aux traits figés !… Elles se suivaient comme les gens d’une procession. De leurs lèvres entr’ouvertes un chant s’exhalait ; et subitement les cloches se turent. On n’entendit plus que ce chant, pareil à une plainte, — mélopée lente et triste à fendre l’âme. Si faibles que fussent les paroles, on en percevait le sens. C’était un noël breton, un de ceux que les petits pâtres vont fredonnant de porte en porte durant la veillée sainte. Les hommes de la Jeanne-Augustine se signèrent avec une dévotion mêlée d’épouvante.

Le chant disait :

Une étoile à l’Orient s’est levée ;
Un Dieu nouveau est né pour la terre,
Pour la terre grande et pour la mer profonde…

Le mousse claquait des dents, là-haut, dans les vergues, et sur le pont les hommes aussi grelottaient, et ce n’était point de froid.

longtemps les têtes défilèrent ; longtemps défilèrent, dans le crépuscule arctique, les petites lueurs pâles que faisaient les flammes des cierges. Parfois elles venaient si près du bord qu’on distinguait à leur clarté les visages de ceux qui les portaient.

Longtemps, longtemps… oui, cela dura longtemps. Et puis, sans qu’on sût comment tout cela passa, s’effaça, s’évanouit. Il n’y eut plus dans la nuit qu’une solitude plus vaste et un silence plus mystérieux.

Soudain un craquement se fit dans la vieille carcasse